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le livre des Métamorphoses sait ce que je veux dire —
mais néanmoins je ne m’en soucie pas plus que d’une fève
si je viens à sa suite avec un pauvre plat de cenelles cuites.
Je parle en prose et lui abandonne les vers[1]. »
Et sur ce mot, d’un visage grave,
il commença son conte, comme vous allez l’entendre.



Le Prologue du conte de l’Homme de Loi.


Ô mal odieux ! état de pauvreté ![2]
100 si accablé de soif, de froid, de faim !
Demander du secours te fait honte en ton cœur ;
si tu n’en demandes pas, tu es si blessé par le besoin
que le besoin même découvre toute ta blessure cachée !
En dépit de toi, tu dois par indigence
ou voler, on mendier, ou emprunter ta dépense !

Tu blâmes le Christ et dis bien amèrement
qu’il répartit mal les richesses temporelles.
Ton voisin, tu l’accuses — en quoi tu pèches —
et tu dis avoir trop peu, tandis que lui a tout.
110 « Par ma foi, dis-tu, un jour il devra rendre compte
quand brûlera sa queue dans les charbons ardents,
car il ne secourt nullement les besoigneux en leur besoin. »

Écoute quelle est la sentence du sage :
« Mieux vaut mourir que d’être en indigence ;
ton propre voisin va te mépriser ».
Si tu es pauvre, adieu considération !
Prends encore cette sentence du sage :

  1. L’homme de loi veut dire ou bien qu’il parle en prose par profession comme Chaucer en vers, ou bien qu’il laisse au poète le soin de rimer son conte. Le premier sens est le plus plausible, mais alors il faut admettre que Chaucer lui aurait d’abord réservé une histoire en prose, comme le conte de Mélibée, puis lui aurait changé son conte sans avoir le temps de remanier l’introduction.
  2. Ces trois strophes sont une paraphrase poétique d’un passage emprunté au traité du Pape Innocent 111, De Contemptu Mundi, sive de Miseria Conditionis Humanae (liv. I, en. xvi). Nous avons là sans doute des extraits d’un ouvrage perdu de Chaucer, cité dans le premier prologue (vers 414) de la Legend of Good Women. Ce sont, comme en plusieurs autres endroits du poème, des vers de jeunesse insérés tels quels par Chaucer, sans qu’il eût le temps de les remanier ou de faire une soudure.