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Eh ! morgue, à nous deux il n’échappera mie.
Pourquoi n’avoir pas mis le bidet dans la grange ?
Malepeste, parguienne, Alain, tu n’es qu’un sot ! »

4090 Ces deux bons clercs ont donc couru grand’erre
vers le marais, Alain et aussi Jean.

Et quand le meunier voit que les clercs sont partis,
il a de leur farine pris un demi-boisseau
et a dit à sa femme d’en pétrir un gâteau.
« Je crois bien, ce dit-il, que les clercs se méfiaient.
N’empêche qu’un meunier fait la barbe à un clerc
avec tout son savoir. — Qu’ils aillent leur chemin !
Voyez-les donc aller ! oui, les enfants s’amusent !
Ils ne l’auront pas si aisément, par mon chef. »
4100 Ces bons clercs ! ils courent de-ci de-là.
« Gare, gare — arrête, arrête — par ici — en arrière !
Va-t’en là-bas siffler, toi, moi, je le guette ici. »
Mais de longtemps, — jusques a la nuit close —
ils ne peuvent, malgré qu’ils s’évertuent,
rattraper leur bidet, qui toujours court… et vite !
tant que dans un fossé ils l’attrapent enfin.

Las et tout dégouttant, comme chien sous la pluie,
s’en vient le pauvre Jean et Alain avec lui.
« Malheureux, disait Jean, le jour où je suis né !
4110 Nous servirons de fable et de risée au monde.
Notre blé est volé : de sots nous vont traiter
les gens et le wardain et tous nos camarades,
et surtout le meunier. Hélas ! hélas ! »

Ainsi Jean se lamente, et vient clopin-clopant
vers le moulin, et Bayard par la bride.
Il trouva le meunier assis près du foyer ;
car il faisait nuit noire, pas moyen d’aller outre.
Ils implorent de lui, et pour l’amour de Dieu,
couvert et gîte, à beaux deniers s’entend.

4120 Le meunier leur répond : « S’il y a de la place,
tel que voilà, il y en a pour vous.
Ma maison est petite, mais vous avez la science,
et en argumentant vous savez d’un espace