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Pourtant, si tout va bien, je leur en ferai voir,
4050 en dépit des ressources de leur philosophie.
Plus il auront recours, eux, à des tours subtils,
plus, en me servant, moi, je les volerai.
Encore, pour farine n’auront-ils que du son.
Les plus grands clercs ne sont nullement les plus sages,
comme jadis au loup a bien dit la jument.
Tout leur art, je le prise autant qu’un grain d’ivraie. »

Il prend la porte en tapinois,
ayant choisi son temps, et sort à la muette.
Il cherche à droite, à gauche, et finit par trouver
4060 le cheval de nos clercs, qui était attaché
derrière le moulin et sous une tonnelle.
Alors, vers le cheval bellement il s’adresse
et, sans perdre de temps, il lui ôte la bride ;
et, dès qu’il se sent libre, le cheval de partir
vers le marais où courent des juments indomptées,
haut le pied, hennissant, sans connaître d’obstacle.

Le meunier s’en revient et il ne sonne mot,
mais il fait sa besogne et rit avec les clercs,
tant qu’à la fin son blé est bel et bien moulu.
4070 Et dès que la farine est au sac et liée,
Jean sort et voit son cheval disparu.
Il crie « haro », il crie « hélas !
Voilà notre cheval perdu ! Alain, au nom des os de Dieu,
alerte, viens-t’en, ami, vite, vite.
Hélas ! notre wardain a perdu son palefroi. »
Et Alain oublie tout, la farine et le grain,
et tout son bon, ménage lui sort de la cervelle.
« Quoi ? Par où a-t-il pris ? » se met-il à crier.

La meunière au moulin arrivait en courant,
4080 disant : « Hélas ! votre cheval ! il s’en va au marais
grand’allure trouver des juments indomptées.
Au diable soit la main qui l’attacha si mal
et celui qui eût dû lui mieux lier la rêne. »
— « Hélas ! dit Jean, Alain, pargué,
va, mets bas ton épée et je mets bas la mienne.
Je cours, Dieu le sait, aussi vite qu’un cerf.