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INTRODUCTION.

comique involontaire. À témoin ce court spécimen qui correspond aux vers 23-27 du Prologue général :

La nuit il arriva dans cette hôtellerie
Troupe de pèlerins tous dans leur braverie,
Au nombre de vingt-neuf, gens de tous les états,
De sexes différents et de tous les formats,
Que le hasard avait agglomérés sans doute,
Qui vers Canterbury comme moi faisaient route.

La finesse et l’art de Chaucer ne pouvaient guère transparaître sous ce prosaïsme et ces impropriétés. Les Contes de Canterbury sont donc restés pour la France un de ces chefs-d’œuvre qu’on salue de très loin et qu’on ignore. C’est ainsi qu’il manque au lecteur désintéressé un des livres de jadis qui peuvent le plus pour son amusement ; à l’historien un tableau unique de la vie populaire du xive siècle ; au littérateur un des plus remarquables prolongements à l’étranger de notre poésie nationale, et avec cela une œuvre qui, fondée sur le passé, fait mieux qu’aucune prévoir le progrès de la littérature européenne.

Il est un autre regret auquel le manque de cette traduction peut justement donner lieu. Faute de lire les Contes de Canterbury les Français se sont refusé la seule entrée de plain-pied qui leur fût possible dans la littérature anglaise. Ils ont de ce fait été contraints d’en escalader sur quelque point les murailles à pic, non sans souffrir certain dommage ni sans avoir à se plaindre de la fatigue et de la secousse. N’avaient-ils pas négligé le pont jeté sur le fossé, par où passait la grande route de France en Albion ? Pour qui suit cette large voie aplanie, la direction parait si claire et l’accès devient si commode ! En pénétrant ainsi dans la poésie anglaise, nulle impression d’effarement comme en pays perdu. On a la joie de se retrouver parmi une colonie française qui aurait prospéré outremer, tant l’accueil est souriant et amical. Sans doute elle a en partie changé son langage, mais les mots indigènes qu’elle a adoptés sont en somme l’unique obstacle à l’échange immédiat des idées. Ce pas est à peine franchi que la communion devient parfaite : pensées, sentiments, histoires, plaisanteries, tours d’esprit