aujourd’hui l’empire du monde à la France que pour la fouler à ses pieds, cet homme, dont j’admire le génie et dont j’abhorre le despotisme, cet homme m’enveloppe de sa tyrannie comme d’une autre solitude ; mais s’il écrase le présent, le passé le brave, et je reste libre dans tout ce qui a précédé sa gloire.
La plupart de mes sentiments sont demeurés au fond de mon âme, ou ne se sont montrés dans mes ouvrages que comme appliqués à des êtres imaginaires. Aujourd’hui que je regrette encore mes chimères sans les poursuivre, je veux remonter le penchant de mes belles années : ces Mémoires seront un temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs[1].
Commençons donc, et parlons d’abord de ma famille ; c’est essentiel, parce que le caractère de mon père a tenu en grande partie à sa position et que ce caractère a beaucoup influé sur la nature de mes idées, en décidant du genre de mon éducation[2].
Je suis né gentilhomme. Selon moi, j’ai profité du hasard de mon berceau, j’ai gardé cet amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l’aristocratie dont la dernière heure est sonnée. L’aris-
- ↑ Voir, à l’Appendice, le No II : Le Manuscrit de 1826.
- ↑ Ce paragraphe, que nous empruntons au Manuscrit de 1826, nous a paru devoir être préféré à celui qui se trouve dans toutes les éditions des Mémoires et dont voici le texte : « De la naissance de mon père et des épreuves de sa première position, se forma en lui un des caractères les plus sombres qui aient été. Or, ce caractère a influé sur mes idées en effrayant mon enfance, contristant ma jeunesse et décidant du genre de mon éducation. » Selon la très juste remarque du comte de Marcellus (Chateaubriand et son temps, p. 6), ces lignes interrompent plus qu’elles n’aident le récit. « C’était sans doute, ajoute M. de Marcellus, un de ces feuillets supplémentaires dont l’auteur, aux derniers moments de sa vie, renversait continuellement l’ordre, de telle