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XLV
PRÉFACE TESTAMENTAIRE

de rubans, à la table des rois, aux fêtes des princes et des princesses, pour retomber dans l’indigence et essayer de la prison.

J’ai été en relation avec une foule de personnages célèbres dans les armes, l’Église, la politique, la magistrature, les sciences et les arts. Je possède des matériaux immenses, plus de quatre mille lettres particulières, les correspondances diplomatiques de mes différentes ambassades, celles de mon passage au ministère des Affaires étrangères, entre lesquelles se trouvent des pièces à moi particulières, uniques et inconnues. J’ai porté le mousquet du soldat, le bâton du voyageur, le bourdon du pèlerin : navigateur, mes destinées ont eu l’inconstance de ma voile ; alcyon, j’ai fait mon nid sur les flots.

Je me suis mêlé de paix et de guerre ; j’ai signé des traités, des protocoles, et publié chemin faisant de nombreux ouvrages. J’ai été initié à des secrets de partis, de cour et d’état : j’ai vu de près les plus rares malheurs, les plus hautes fortunes, les plus grandes renommées. J’ai assisté à des sièges, à des congrès, à des conclaves, à la réédification et à la démolition des trônes. J’ai fait de l’histoire, et je pouvais l’écrire. Et ma vie solitaire, rêveuse, poétique, marchait au travers de ce monde de réalités, de catastrophes, de tumulte, de bruit, avec les fils de mes songes, Chactas, René, Eudore, Aben-Hamet, avec les filles de mes chimères, Atala, Amélie, Blança, Velléda, Cymodocée. En dedans et à côté de mon siècle, j’exerçais peut-être sur lui, sans le vouloir et sans le chercher, une triple influence religieuse, politique et Littéraire.

Je n’ai plus autour de moi que quatre ou cinq con-