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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

race, le temps de son passage ? Vivait-il, alors que le monde au sein duquel il était caché existait ignoré des trois autres parties de la terre ? Le silence de ce peuple est peut-être contemporain du bruit de quelques grandes nations tombées à leur tour dans le silence[1].

Des anfractuosités sablonneuses, des ruines ou des tumulus, sortaient des pavots à fleurs roses pendant au bout d’un pédoncule incliné d’un vert pâle. La tige et la fleur ont un arome qui reste attaché aux doigts lorsqu’on touche à la plante. Le parfum qui survit à cette fleur est une image du souvenir d’une vie passée dans la solitude.

J’observai la nymphéa : elle se préparait à cacher son lis blanc dans l’onde, à la fin du jour ; l’arbre triste, pour déclore le sien, n’attendait que la nuit : l’épouse se couche à l’heure où la courtisane se lève.

L’œnothère pyramidale, haute de sept à huit pieds, à feuilles blondes dentelées d’un vert noir, a d’autres mœurs et une autre destinée : sa fleur jaune commence à s’entr’ouvrir le soir, dans l’espace de temps que Vénus met à descendre sous l’horizon ; elle continue de s’épanouir aux rayons des étoiles ; l’aurore la trouve dans tout son éclat ; vers la moitié du matin elle se fane ; elle tombe à midi. Elle ne vit que quelques heures ; mais elle dépêche ces heures sous un ciel serein, entre les souffles de Vénus et de l’Aurore ; qu’importe alors la brièveté de la vie ?

  1. Les ruines de Mitla et de Palenque au Mexique prouvent aujourd’hui que le Nouveau-Monde dispute d’antiquité avec l’Ancien. (Paris, note de 1834.) Ch.