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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de Castelnau : ambassadeur comme moi en Angleterre, il écrivait comme moi une partie de sa vie à Londres. À la dernière page du livre VIIe, il dit à son fils : « Je traiterai de ce fait au VIIIe livre, » et le VIIIe livre des Mémoires de Castelnau n’existe pas : cela m’avertit de profiter de la vie[1].

Washington n’appartient pas, comme Bonaparte, à cette race qui dépasse la stature humaine. Rien d’étonnant ne s’attache à sa personne ; il n’est point placé sur un vaste théâtre ; il n’est point aux prises avec les capitaines les plus habiles, et les plus puissants monarques du temps ; il ne court point de Memphis à Vienne, de Cadix à Moscou : il se défend avec une poignée de citoyens sur une terre sans célébrité, dans le cercle étroit des foyers domestiques. Il ne livre point de ces combats qui renouvellent les triomphes d’Arbelle et de Pharsale ; il ne renverse point les trônes pour en recomposer d’autres avec leurs débris ; il ne fait point dire aux rois à sa porte :


Qu’ils se font trop attendre, et qu’Attila s’ennuie[2].

Quelque chose de silencieux enveloppe les actions de Washington ; il agit avec lenteur ; on dirait qu’il se sent chargé de la liberté de l’avenir et qu’il craint de la compromettre. Ce ne sont pas ses destinées que porte ce héros d’une nouvelle espèce : ce sont celles

  1. Michel de Castelnau (1520-1592) a été cinq fois ambassadeur en Angleterre, sous les règnes de Charles IX et de Henri III. Ses Mémoires vont de 1559 à 1570.
  2. C’est le second vers de l’Attila de Corneille (Acte I, scène I) :
    Ils ne sont pas venus, nos deux rois ; qu’on leur die
    Qu’ils se font trop attendre, et qu’Attila s’ennuie.