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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Lorsque Gonzalo Villo, aïeul maternel de Camoëns, découvrit une partie de l’archipel des Açores, il aurait dû, s’il eût prévu l’avenir, se réserver une concession de six pieds de terre pour recouvrir les os de son petit-fils.

Nous ancrâmes dans une mauvaise rade, sur une base de roches, par quarante-cinq brasses d’eau. L’île Graciosa, devant laquelle nous étions mouillés, nous présentait ses collines un peu renflées dans leurs contours comme les ellipses d’une amphore étrusque : elles étaient drapées de la verdure des blés, et elles exhalaient une odeur fromentacée agréable, particulière aux moissons des Açores. On voyait au milieu de ces tapis les divisions des champs, formées de pierres volcaniques, mi-parties blanches et noires, et entassées les unes sur les autres. Une abbaye, monument d’un ancien monde sur un sol nouveau, se montrait au sommet d’un tertre ; au pied de ce tertre, dans une anse caillouteuse, miroitaient les toits rouges de la ville de Santa-Cruz. L’île entière, avec ses découpures de baies, de caps, de criques, de promontoires, répétait son paysage inverti dans les flots. Des rochers verticaux au plan des vagues lui servaient de ceinture extérieure. Au fond du tableau, le cône du volcan du Pic, planté sur une coupole de nuages, perçait, par delà Graciosa, la perspective aérienne.

Il fut décidé que j’irais à terre avec Tulloch et le second capitaine ; on mit la chaloupe en mer : elle nagea au rivage dont nous étions à environ deux milles. Nous aperçûmes du mouvement sur la côte ; une prame s’avança vers nous. Aussitôt qu’elle fût à portée de la voix, nous distinguâmes une quantité de