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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

min. Son mari[1], d’une réputation calomniée, écrivait, avec Monsieur, frère du roi, dans le Journal de Paris. Madame de Villette, charmante encore, perdit une fille de seize ans, plus charmante que sa mère, et pour laquelle le chevalier de Parny fit ces vers dignes de l’Anthologie :

Au ciel elle a rendu sa vie,
Et doucement s’est endormie,
Sans murmurer contre ses lois :
Ainsi le sourire s’efface,
Ainsi meurt sans laisser de trace
Le chant d’un oiseau dans les bois.

Mon régiment, en garnison à Rouen, conserva sa discipline assez tard. Il eut un engagement avec le peuple au sujet de l’exécution du comédien Bordier[2], qui

  1. Charles-Michel, marquis de Villette, né le 4 décembre 1736, député de l’Oise à la Convention, il vota, dans le procès de Louis XVI, pour la réclusion et le bannissement à l’époque de la paix. Il mourut, le 9 juillet 1793, dans son hôtel de la rue de Beaune.
  2. Le comédien Bordier, célèbre à Paris dans le rôle d’Arlequin, était en représentation à Rouen, lorsque, dans la nuit du 3 au 4 août 1789, assisté d’un avocat de Lisieux, nommé Jourdain, il se mit à la tête d’une émeute. L’hôtel de l’intendant, M. de Maussion, fut pillé, les bureaux-recettes, les barrières de la ville, le bureau des aides, tous les bâtiments où l’on percevait les droits du roi furent pillés. « De grands feux s’allument, dit M. Taine, dans les rues et sur la place du Vieux-Marché ; on y jette pêle-mêle des meubles, des habits, des papiers et des batteries de cuisine ; des voitures sont traînées et précipitées dans la Seine. C’est seulement lorsque l’hôtel de ville est envahi que la garde nationale, prenant peur, se décida à saisir Bordier et quelques autres. Mais le lendemain, au cri de Carabo, et sous la conduite de Jourdain, la Conciergerie est forcée, Bordier est délivré, et l’Intendance avec les bureaux est saccagée une seconde fois. Lorsqu’enfin les deux coquins sont pris et me-