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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

réunions littéraires, des sociétés politiques et des spectacles ; les renommées futures erraient dans la foule sans être connues, comme les âmes au bord du Léthé, avant d’avoir joui de la lumière. J’ai vu le maréchal Gouvion-Saint-Cyr remplir un rôle, sur le théâtre du Marais[1], dans la Mère coupable de Beaumarchais[2]. On se transportait du club des Feuillants au club des Jacobins, des bals et des maisons de jeu aux groupes du Palais-Royal, de la tribune de l’Assemblée nationale à la tribune en plein vent. Passaient et repassaient dans les rues des députations populaires, des piquets de cavalerie, des patrouilles d’infanterie. Auprès d’un homme en habit français, tête poudrée, épée au côté, chapeau sous le bras, escarpins et bas

  1. Ce théâtre, situé rue Culture-Sainte-Catherine, quartier Saint Antoine, fut ouvert le 31 août 1791. Beaumarchais en était le principal commanditaire, il y fit jouer, le 6 juin 1792, sa dernière pièce, l’Autre Tartufe ou la mère coupable, drame en cinq actes et en prose.
  2. Gouvion-Saint-Cyr (Laurent, marquis), maréchal de France, né à Toul le 13 avril 1764, mort à Hyères le 17 mars 1830. — Il se consacra d’abord aux beaux-arts et alla pendant deux ans étudier la peinture à Rome. Il parcourut ensuite l’Italie, revint à Paris en 1784, et fréquenta l’atelier du peintre Brenet. « Cherchant, dit la Biographie universelle, à se procurer par d’autres moyens les ressources que son art ne pouvait lui offrir, il se lia avec des comédiens, et se croyant quelque vocation pour le théâtre, il commença à jouer dans les sociétés d’amateurs, puis dans la salle Beaumarchais, au Marais, où il fut le confident de Baptiste, lorsque cet artiste y attira la foule par le rôle de Robert, chef de brigands. Mais, bien que doué d’un organe sonore et d’une belle stature, ne pouvant surmonter sa timidité en présence du public, et parlant quelquefois avec tant de difficulté qu’il semblait être bègue, Gouvion n’eut aucun succès dans cette carrière ; et on l’a entendu plus tard, lorsqu’il fut général, s’applaudir des sifflets qui l’avaient forcé d’y renoncer. »