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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

n’oubliait pas qu’il avait paru à la cour, monté dans les carrosses et chassé avec le roi. Il exigeait qu’on le qualifiât du titre de comte ; il tenait à ses couleurs, et couvrit ses gens de livrée quand tout le monde la quitta. Il citait à tout propos et hors de propos son parent, l’amiral de Coligny. Le Moniteur l’ayant appelé Riquet[1] : « Savez-vous, dit-il avec emportement au journaliste, qu’avec votre Riquet, vous avez désorienté l’Europe pendant trois jours ? » Il répétait cette plaisanterie impudente et si connue : « Dans une autre famille, mon frère le vicomte serait l’homme d’esprit et le mauvais sujet ; dans ma famille, c’est le sot et l’homme de bien. » Des biographes attribuent ce mot au vicomte, se comparant avec humilité aux autres membres de la famille.

Le fond des sentiments de Mirabeau était monarchique ; il a prononcé ces belles paroles : « J’ai voulu guérir les Français de la superstition de la monarchie et y substituer son culte. » Dans une lettre, destinée à être mise sous les yeux de Louis XVI, il écrivait : « Je ne voudrais pas avoir travaillé seule-

  1. Non pas Riquet, — ce qui était le nom patronymique des Caraman, descendant de Pierre-Paul Riquet, le créateur du canal du Languedoc, — mais Riqueti, nom patronymique des Mirabeau. « On connaît, écrit M. de Loménie, le mot adressé, dit-on, par Mirabeau au rédacteur du Moniteur qui, au lendemain du décret d’abolition des titres et distinctions nobiliaires, et en conformité à ce décret, lui avait, dans le compte rendu de l’Assemblée, ôté le nom de fief sous lequel il était si populaire, et l’avait désigné par son nom patronymique de Riqueti, ou, comme lui-même l’écrivait, Riquetti : « Avec votre Riquetti, vous avez désorienté toute l’Europe. » Dans sa lettre du 20 juin 1790 pour la Cour, Mirabeau parle de ce décret comme « d’une démence dont La Fayette a été ou bêtement, ou perfidement complice ». Les Mirabeau, tome V, p. 325.