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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Depuis cette époque, je n’ai revu Combourg que trois fois : après la mort de mon père, nous nous y trouvâmes en deuil, pour partager notre héritage et nous dire adieu. Une autre fois j’accompagnai ma mère à Combourg : elle s’occupait de l’ameublement du château ; elle attendait mon frère, qui devait amener ma belle-sœur en Bretagne. Mon frère ne vint point ; il eut bientôt avec sa jeune épouse, de la main du bourreau, un autre chevet que l’oreiller préparé des mains de ma mère. Enfin, je traversai une troisième fois Combourg, en allant m’embarquer à Saint-Malo pour l’Amérique. Le château était abandonné, je fus obligé de descendre chez le régisseur. Lorsque, en errant dans le grand Mail, j’aperçus du fond d’une allée obscure le perron désert, la porte et les fenêtres fermées, je me trouvai mal[1]. Je regagnai avec peine le village ; j’envoyai chercher mes chevaux et je partis au milieu de la nuit.

Après quinze années d’absence, avant de quitter de nouveau la France et de passer en Terre sainte, je courus embrasser à Fougères ce qui me restait de ma

  1. Dans René, Chateaubriand a immortalisé le souvenir de cette dernière visite à Combourg : « J’arrivai au château par la longue avenue de sapins ; je traversai à pied les cours désertes ; je m’arrêtai à regarder les fenêtres fermées ou demi-brisées, le chardon qui croissait au pied des murs, les feuilles qui jonchaient le seuil des portes, et ce perron solitaire où j’avais vu si souvent mon père et ses fidèles serviteurs. Les marches étaient déjà couvertes de mousse ; le violier jaune croissait entre leurs pierres déjointes et tremblantes. Un gardien inconnu m’ouvrit brusquement les portes… J’entrai sous le toit de mes ancêtres. Je parcourus les appartements sonores où l’on n’entendait que le bruit de mes pas. Les chambres étaient à peine éclairées par la faible lumière qui pénétrait entre les volets fermés : je visitai celle où ma mère avait perdu la vie en me mettant au monde,