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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d’instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j’y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s’éloigne et qui va bientôt disparaître.

J’ai dit mon retour à Combourg, et comment je fus accueilli par mon père, ma mère et ma sœur Lucile.

On n’a peut-être pas oublié que mes trois autres sœurs s’étaient mariées, et qu’elles vivaient dans les terres de leurs nouvelles familles, aux environs de Fougères. Mon frère, dont l’ambition commençait à se développer, était plus souvent à Paris qu’à Rennes. Il acheta d’abord une charge de maître des requêtes qu’il revendit afin d’entrer dans la carrière militaire[1]. Il entra dans le régiment de Royal-Cavalerie ; il s’attacha au corps diplomatique et suivit le comte de La Luzerne à Londres, où il se rencontra avec André Chénier[2] : il était sur le point d’obtenir l’ambassade de Vienne, lorsque nos troubles éclatèrent ; il sollicita

  1. « Il acheta bientôt une charge de maître des requêtes, que M. de Malesherbes le força de vendre pour entrer au service, comme la véritable carrière d’un homme de son nom, lorsqu’il épousa mademoiselle de Rosanbo. » Manuscrit de 1826. — Le mariage du frère de Chateaubriand avec Aline-Thérèse Le Peletier de Rosanbo eut lieu en novembre 1787.
  2. M. de La Luzerne, qui prit possession de l’ambassade de Londres au mois de janvier 1788, comptait, en effet, parmi les secrétaires attachés à son ambassade, André de Chénier, alors âgé de vingt-cinq ans seulement. Le poète, qui prenait d’ailleurs de fréquents congés, revint définitivement à Paris au mois de juin 1791. (Notice sur André de Chénier, par M. Gabriel de Chénier, p. 11. — André Chénier, sa vie et ses écrits politiques, par L. Becq de Fouquières, p. 12.)