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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mangeai sans contrainte, termina pour moi la première journée heureuse de ma vie. Le vrai bonheur coûte peu ; s’il est cher, il n’est pas d’une bonne espèce.

À peine fus-je réveillé le lendemain que j’allai visiter les dehors du château, et célébrer mon avènement à la solitude. Le perron faisait face au nord-ouest. Quand on était assis sur le diazome de ce perron, on avait devant soi la Cour Verte, et, au delà de cette cour, un potager étendu entre deux futaies : l’une, à droite (le quinconce par lequel nous étions arrivés), s’appelait le petit Mail ; l’autre, à gauche, le grand Mail : celle-ci était un bois de chênes, de hêtres, de sycomores, d’ormes et de châtaigniers. Madame de Sévigné vantait de son temps ces vieux ombrages[1] ; depuis cette époque, cent quarante années avaient été ajoutées à leur beauté.

Du côté opposé, au midi et à l’est, le paysage offrait un tout autre tableau : par les fenêtres de la grand’salle, on apercevait les maisons de Combourg[2], un étang, la chaussée de cet étang sur laquelle passait le grand chemin de Rennes, un moulin à eau, une prairie couverte de troupeaux de vaches et séparée de l’étang par la chaussée. Au bord de cette prairie s’allongeait un hameau dépendant d’un prieuré fondé en 1149 par Rivallon, seigneur de Combourg, et où l’on voyait sa statue mortuaire, couchée sur le dos, en armure de chevalier. Depuis l’é-

  1. « Mme  de Sévigné vantait en 1669 ces vieux ombrages. » — Manuscrit de 1826.
  2. « On apercevait le haut clocher de la paroisse et les maisons confuses de Combourg… » Manuscrit de 1826.