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Mila semble regarder avec admiration sa victime déjà séduite.
prêté le serment du secret, mais quand vous serez prêts à frapper, Outougamiz, avec le manitou d’or que voici, sera debout devant René. Forgez le fer bien long : pour atteindre le cœur de mon ami, il faut que ce fer passe par le mien.

Le jeune homme se tut : ses yeux étaient levés vers le firmament ; c’était l’ange de l’Amitié redemandant sa céleste patrie. Les sachems écoutaient, pleins de pensées ; ils entrevoyaient un secret qu’ils croyaient important de connaître ; ils commandaient le silence au conseil : les prodiges de l’amitié d’Outougamiz, connus de toute la solitude, faisaient l’admiration des jeunes sauvages.

Le frère de Céluta ramenant ses regards sur l’assemblée : « Guerriers, pourquoi êtes-vous muets ? Enseignez-moi donc ce qu’il faut que je dise à ma sœur et à ma femme, lorsqu’elles viendront au-devant de moi. Que dirai-je à René lui-même ? Lui dirai-je : « Chevreuil, que j’avais trouvé dans le marais des Illinois, viens que je rouvre la blessure que ma main avait fermée ? »

Outougamiz, portant tout à coup ses deux mains à sa poitrine : « Je t’arracherai bien de mon sein, affreux secret ! s’écria-t-il. Os de mes pères, vous avez beau vous soulever et marcher devant moi, je parlerai : oui, je parlerai ; je ne serai point un assassin ! René, écoute, entends-tu ?… Voilà tout ce qui s’est passé au conseil ; ne va pas le répéter ! Mais, René, n’es-tu pas coupable ?… Ah ! Dieu ! j’ai parlé, j’ai violé mes serments, j’ai trahi la patrie ! » Outougamiz défaillit devant le bûcher ; si les guerriers voisins ne l’eussent retenu, il tombait dans la flamme. On le couche à l’écart sur des branches.

Cet évanouissement donna le temps au jongleur et à Ondouré de répéter ce qu’ils avaient déjà dit de la frénésie d’Outougamiz, causée par un maléfice. Impatientes de partir, les nations se levèrent, et l’on oublia le frère de Céluta.

Les tribus qui avaient adopté le plan des Natchez reçurent du jongleur les gerbes funéraires : dans chaque gerbe il y avait douze roseaux. L’époque des grands jeux, qui duraient douze jours commençait le dix-huitième jour de la lune des chasses ; c’était ce jour-là même que les jongleurs, chez les différentes nations conjurées, devaient brûler le