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des faits incontestables ne remontent qu’à l’an 3102 avant notre ère. Cette antiquité est sans doute fort grande, mais enfin elle rentre dans des bornes connues. C’est à cette époque que commence la quatrième jogue, ou âge indien. M. Bailly, en dépouillant les trois premiers âges et les réunissant au quatrième, démontre que toute la chronologie des brahmes se renferme dans un intervalle d’environ soixante-dix siècles[1], ce qui s’accorde parfaitement avec la chronologie des Septante. Il prouve jusqu’à l’évidence que les fastes des Égyptiens, des Chaldéens, des Chinois, des Perses, des Indiens, se rangent avec une exactitude singulière sous les époques de l’Écriture[2]. Nous citons d’autant plus volontiers M. Bailly, que ce savant est mort victime des principes que nous avons entrepris de combattre. Lorsque cet homme infortuné écrivoit, à propos d’Hypatia, jeune femme astronome, massacrée par les habitants d’Alexandrie, que les modernes épargnent au moins la vie, en déchirant la réputation, il ne se doutoit guère qu’il seroit lui-même une preuve lamentable de la fausseté de son assertion, et qu’il renouvelleroit l’histoire d’Hypatia !

Au reste, tous ces calculs infinis de générations et de siècles, que l’on retrouve chez plusieurs peuples, ont leur source dans une foiblesse naturelle au cœur humain. Les hommes, qui sentent en eux-mêmes un principe d’immortalité, sont comme tout honteux de la brièveté de leur existence ; il leur semble qu’en entassant tombeaux sur tombeaux ils cacheront ce vice capital de leur nature, qui est de durer peu, et qu’en ajoutant du néant à du néant ils parviendront à faire une éternité. Mais ils se trahissent eux-mêmes, et découvrent ce qu’ils prétendent dérober ; car plus la pyramide funèbre est élevée, plus la statue vivante placée au sommet diminue, et la vie paroît encore bien plus petite quand l’énorme fantôme de la mort l’exhausse dans ses bras.


CHAPITRE IV.

Histoire naturelle ; Déluge.



L’astronomie n’étant donc pas suffisante pour détruire la chronologie de l’Écriture[3], on revient à l’attaquer par l’histoire naturelle : les

  1. Voyez la note IX, à la fin du volume.
  2. Bail., Astr. Ind. Discours préliminaire, part. XI, p. 126, etc.
  3. On rit de Josué qui commande au soleil de s’arrêter. Nous n’aurions pas cru être obligé d’apprendre à notre siècle que le soleil n’est pas immobile, quoique centre.