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prétend qu’il faut traduire l’épithète d’Homère, Hduephx, appliquée à Nestor, par Nestor au doux langage. Mais Hduephx ne voulut jamais dire au doux langage. Rollin traduit à peu près comme l’auteur du Génie du Christianisme, Nestor, cette bouche éloquente[1], d’après le texte grec, et non d’après la leçon latine du Scoliaste, Suaviloquus, que le critique a visiblement suivie.

Au reste, l’auteur a déjà dit qu’il ne prétendait pas défendre des talents qu’il n’a pas sans doute, mais il ne peut s’empêcher d’observer que tant de petites remarques sur un long ouvrage ne servent qu’à dégoûter un auteur sans l’éclairer ; c’est la réflexion que Montesquieu fait lui-même dans ce passage de sa Défense :

" Les gens qui veulent tout enseigner empêchent beaucoup d’apprendre ; il n’y a point de génie qu’on ne rétrécisse lorsqu’on l’enveloppera d’un million de scrupules vains : avez-vous les meilleures intentions du monde, on vous forcera vous-même d’en douter. Vous ne pouvez plus être occupé à bien dire quand vous êtes effrayé par la crainte de dire mal, et qu’au lieu de suivre votre pensée, vous ne vous occupez que des termes qui peuvent échapper à la subtilité des critiques. On vient nous mettre un bandeau sur la tête pour nous dire à chaque mot : Prenez garde de tomber : vous voulez parler comme vous, je veux que vous parliez comme moi. Va-t-on prendre l’essor, ils vous arrêtent par la manche. A-t-on de la force et de la vie, on vous l’ôte à coups d’épingle. Vous élevez-vous un peu, voilà des gens qui prennent leur pied ou leur toise, lèvent la tête, et vous crient de descendre pour vous mesurer… Il n’y a ni science ni littérature qui puisse résister à ce pédantisme[2]. "

C’est bien plus encore quand on y joint les dénonciations et les calomnies. Mais l’auteur les pardonne aux critiques ; il conçoit que cela peut faire partie de leur plan, et ils ont le droit de réclamer pour leur ouvrage l’indulgence que l’auteur demande pour le sien. Cependant que revient-il de tant de censures multipliées, où l’on n’aperçoit que l’envie de nuire à l’ouvrage et à l’auteur, et jamais un goût impartial de critique ? Que l’on provoque des hommes que leurs principes retenaient dans le silence, et qui, forcés de descendre dans l’arène, peuvent y paraître quelquefois avec des armes qu’on ne leur soupçonnait pas.

  1. Traité des Etudes, t. I, p. 375, de la lecture d’Homère. (N.d.A.)
  2. Défense de l’Esprit des Lois, IIIe partie. (N.d.A.)