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ouvrage extrêmement méthodique, que de porter un grand coup au cœur et de frapper vivement l’imagination. Ainsi, au lieu de s’attacher à l’ordre des sujets, comme il l’avait fait d’abord, il a préféré l’ordre des preuves. Les preuves de sentiment sont renfermées dans le premier volume, où l’on traite du charme et de la grandeur des mystères, de l’existence de Dieu, etc. ; les preuves pour l’esprit et l’imagination remplissent le second et le troisième volume, consacrés à la poétique ; enfin, ces mêmes preuves pour le cœur, l’esprit et l’imagination, réunies aux preuves pour la raison, c’est-à-dire aux preuves de fait, occupent le quatrième volume, et terminent l’ouvrage. Cette gradation de preuves semblait promettre d’établir une progression d’intérêt dans le Génie du Christianisme : il paraît que le jugement du public a confirmé cette espérance de l’auteur. Or, si l’intérêt va croissant de volume en volume, le plan du livre ne saurait être tout à fait vicieux.

Qu’il soit permis à l’auteur de faire remarquer une chose de plus. Malgré les écarts de son imagination, perd-il souvent de vue son sujet dans son ouvrage ? Il en appelle au critique impartial : quel est le chapitre, quelle est, pour ainsi dire, la page où l’objet du livre ne soit pas reproduit[1] ? Or, dans une apologie du christianisme, où l’on ne veut que montrer au lecteur la beauté de cette religion, peut-on dire que le plan de cette apologie est essentiellement défectueux, si, dans les choses les plus directes comme dans les plus éloignées, on a fait reparaître partout la grandeur de Dieu, les merveilles de la Providence, l’influence, les charmes et les bienfaits des dogmes, de la doctrine et du culte de Jésus-Christ ?

En général on se hâte un peu trop de prononcer sur le plan d’un livre. Si ce plan ne se déroule pas d’abord aux yeux des critiques comme ils l’ont conçu sur le titre de l’ouvrage, ils le condamnent impitoyablement. Mais ces critiques ne voient pas ou ne se donnent pas la peine de voir que si le plan qu’ils imaginent était exécuté, il aurait peut-être une foule d’inconvénients qui le rendraient encore moins bon que celui que l’auteur a suivi.

Quand un écrivain n’a pas composé son ouvrage avec précipitation ; quand il y a employé plusieurs années ; quand il a consulté les livres et les hommes, et qu’il n’a rejeté aucun conseil, aucune critique ; quand il a recommencé plusieurs fois son travail d’un bout à l’autre ; quand il a livré deux fois aux flammes son ouvrage tout imprimé, ce

  1. Cette vérité a été reconnue par le critique même qui s’est le plus élevé contre l’ouvrage. (N.d.A.)