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tous les livres de Moïse, et composa des tragédies et des comédies sur les autres livres de l’Ecriture. Apollinaire le fils écrivit des dialogues à l’imitation de Platon, et il renferma dans ces dialogues la morale de l’Evangile et les préceptes des Apôtres [NOTE 41]. Enfin, ce Père de l’Église surnommé par excellence le Théologien, Grégoire de Nazianze, combattit aussi les sophistes avec les armes du poète. Il fit une tragédie de la mort de Jésus-Christ, que nous avons encore. Il mit en vers la morale, les dogmes et les mystères mêmes de la religion chrétienne[1]. L’historien de sa vie affirme positivement que ce saint illustre ne se livra à son talent poétique que pour défendre le christianisme contre la dérision de l’impiété[2] ; c’est aussi l’opinion du sage Fleury. " Saint Grégoire, dit-il, voulait donner à ceux qui aiment la poésie et la musique des sujets utiles pour se divertir, et ne pas laisser aux païens l’avantage de croire qu’ils fussent les seuls qui pussent réussir dans les belles-lettres [NOTE 42]. "

Cette espèce d’apologie poétique de la religion a été continuée, presque sans interruption, depuis Julien jusqu’à nos jours. Elle prit une nouvelle force à la renaissance des lettres : Sannazar écrivit son poème de Partu Virginis[3], et Vida son poème[4]de la vie de Jésus-Christ (Christiade) ; Buchanan donna ses tragédies de Jephté et de Saint Jean-Baptiste. La Jérusalem délivrée, le Paradis perdu. Polyeucte, Esther, Athalie, sont devenus depuis de véritables apologies en faveur de la beauté de la religion. Enfin Bossuet, dans le second chapitre de sa préface intitulée De Grandiloquentia et suavitate Psalmorum ; Fleury, dans son traité Des Poésies sacrées ; Rollin, dans son chapitre De l’Eloquence de l’Ecriture ; Lowth, dans son excellent livre De sacra Poesi Hebraeorum ; tous se sont complu à faire admirer la grâce et la magnificence de la religion. Quel besoin d’ailleurs y a-t-il d’appuyer de tant d’exemples ce que le seul bon sens suffit pour enseigner ? Dès lors que l’on a voulu rendre la religion ridicule, il est tout simple de montrer qu’elle est belle. Eh quoi ! Dieu lui-même nous aurait fait annoncer son Église par des poètes inspirés ; il se serait servi pour nous peindre les grâces de l’Epouse des plus beaux accords de la harpe du roi-prophète, et

  1. L’abbé de Billy a recueilli cent quarante-sept poèmes de ce Père, à qui saint Jérôme et Suidas attribuent plus de trente mille vers pieux. (N.d.A.)
  2. Naz. Vit., p. 12. (N.d.A.)
  3. On sait que Sannazar a fait dans ce poème un mélange ridicule de la fable et de la religion. Cependant il fut honoré pour ce poème de deux brefs des papes Léon X et Clément VII ; ce qui prouve que l’Église a été dans tous les temps plus indulgente que la philosophie moderne, et que la charité chrétienne aime mieux juger un ouvrage par le bien que par le mal qui s’y trouve. La traduction de Théagène et Chariclée valut à Amyot l’abbaye de Bellozane. (N.d.A.)
  4. Dont on a retenu ce vers sur le dernier soupir du Christ : Supremamque auram, ponens caput, expiravit. (N.d.A.)