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l’auteur de si haut, ont-ils réellement cru que cette manière de défendre la religion, en la rendant douce et touchante pour le cœur, en la parant même des charmes de la poésie, fût une chose si inouïe, si extraordinaire ? " Qui oserait dire, s’écrie saint Augustin, que la vérité doit demeurer désarmée contre le mensonge, et qu’il sera permis aux ennemis de la foi d’effrayer les fidèles par des paroles fortes, et de les réjouir par des rencontres d’esprit agréables, mais que les catholiques ne doivent écrire qu’avec une froideur de style qui endorme les lecteurs ? " C’est un sévère disciple de Port-Royal qui traduit ce passage de saint Augustin ; c’est Pascal lui-même, et il ajoute à l’endroit cité[1] " qu’il y a deux choses dans les vérités de notre religion, une beauté divine, qui les rend aimables, et une sainte majesté, qui les rend vénérables. " Pour démontrer que les preuves rigoureuses ne sont pas toujours celles qu’on doit employer en matière de religion, il dit ailleurs (dans ses Pensées) que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point[2]. Le grand Arnauld, chef de cette école austère du christianisme, combat à son tour[3] l’académicien Du Bois, qui prétendait aussi qu’on ne doit pas faire servir l’éloquence humaine à prouver les vérités de la religion. Ramsay, dans sa Vie de Fénelon, parlant du Traité de l’Existence de Dieu par cet illustre prélat, observe que M. de Cambray savait que la plaie de la plupart de ceux qui doutent vient, non de leur esprit, mais de leur cœur, et qu’il faut donc répandre partout des sentiments pour toucher, pour intéresser, pour saisir le cœur[4]. " Raymond de Sébonde a laissé un ouvrage écrit à peu près dans les mêmes vues que le Génie du Christianisme ; Montaigne a pris la défense de cet auteur contre ceux qui avancent que les chrestiens se font tort de vouloir appuyer leur créance par des raisons humaines[5]. " C’est la foy seule qui embrasse vivement et certainement les hauts mystères de notre religion. Mais ce n’est pas à dire que ce ne soit une très belle et très louable entreprise d’accommoder encore au service de notre foy les outils naturels et humains que Dieu nous a donnez… Il n’est occupation ni desseins plus dignes d’un homme chrétien que de viser par tous ses estudes et pensemens à embellir, estendre et amplifier la vérité de sa créance[6]. "

L’auteur ne finirait point s’il voulait citer tous les écrivains qui ont

  1. Lettres provinciales, lettre XIe. (N.d.A.)
  2. Pensées de Pascal, chap. XXVIII. (N.d.A.)
  3. Dans un petit traité intitulé : Réflexions sur l’Eloquence des Prédicateurs. (N.d.A.)
  4. Hist. de la Vie de Fénelon, p. 193. (N.d.A.)
  5. Essais de Montaigne, t. IV, liv. II, chap. XII, p. 172. (N.d.A.)
  6. Essais de Montaigne, t. IV, liv. II, chap. XII, p. 174. (N.d.A.)