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a civilisé les peuples gothiques, comment il a modifié le génie des arts et des lettres, comment il a dirigé l’esprit et les mœurs des nations modernes, en un mot, découvrir tout ce que cette religion a de merveilleux dans ses relations poétiques, morales, politiques, historiques, etc., cela semblera toujours à l’auteur un des plus beaux sujets d’ouvrage que l’on puisse imaginer. Quant à la manière dont il a exécuté son ouvrage, il l’abandonne à la critique.

V. Mais ce n’est pas ici le lieu d’affecter une modestie, toujours suspecte chez les auteurs modernes, qui ne trompe personne. La cause est trop grande, l’intérêt trop pressant, pour ne pas s’élever au-dessus de toutes les considérations de convenance et de respect humain. Or, si l’auteur compte le nombre des suffrages et l’autorité de ces suffrages, il ne peut se persuader qu’il ait tout à fait manqué le but de son livre. Qu’on prenne un tableau impie, qu’on le place auprès d’un tableau religieux composé sur le même sujet et tiré du Génie du Christianisme, on ose avancer que ce dernier tableau, tout imparfait qu’il puisse être, affaiblira le dangereux effet du premier : tant a de force la simple vérité rapprochée du plus brillant mensonge ! Voltaire, par exemple, s’est souvent moqué des religieux : eh bien, mettez auprès de ses burlesques peintures le morceau des Missions, celui où l’on peint les ordres des Hospitaliers secourant le voyageur dans les déserts, le chapitre où l’on voit des moines se consacrant aux hôpitaux, assistant les pestiférés dans les bagnes ou accompagnant le criminel à l’échafaud : quelle ironie ne sera pas désarmée, quel sourire ne se convertira pas en larmes ? Répondez aux reproches d’ignorance que l’on fait au culte des chrétiens par les travaux immenses de ces religieux, qui ont sauvé les manuscrits de l’antiquité ; répondez aux accusations de mauvais goût et de barbarie par les ouvrages de Bossuet et de Fénelon ; opposez aux caricatures des saints et des anges les effets sublimes du christianisme dans la partie dramatique de la poésie, dans l’éloquence et les beaux-arts, et dites si l’impression du ridicule pourra longtemps subsister. Quand l’auteur n’aurait fait que mettre à l’aise l’amour-propre des gens du monde, quand il n’aurait eu que le succès de dérouler sous les yeux d’un siècle incrédule une série de tableaux religieux, sans dégoûter ce siècle, il croirait encore n’avoir pas été inutile à la cause de la religion.

VI. Pressés par cette vérité, qu’ils ont trop d’esprit pour ne pas sentir, et qui fait peut-être le motif secret de leurs alarmes, les critiques ont recours à un autre subterfuge ; ils disent : " Eh ! qui vous nie que le christianisme, comme toute autre religion, n’ait des beautés