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sur la religion effacé, les jeunes gens osant aller à la messe, les prêtres respectés au nom de leur martyre, et ce vieux monde a cru que cela étoit arrivé tout seul, que personne n’y avoit mis la main.

Bientôt même on a senti une sorte d’éloignement pour celui qui avoit rouvert la porte des temples en prêchant la modération évangélique, pour celui qui avoit voulu faire aimer le christianisme par la beauté de son culte, par le génie de ses orateurs, par la science de ses docteurs, par les vertus de ses apôtres et de ses disciples. Il auroit fallu aller plus loin. Dans ma conscience je ne le pouvois pas.

Depuis vingt-cinq ans ma vie n’a été qu’un combat entre ce qui m’a paru faux en religion, en philosophie, en politique, contre les crimes ou les erreurs de mon siècle, contre les hommes qui abusoient du pouvoir pour corrompre ou pour enchaîner les peuples. Je n’ai jamais calculé le degré d’élévation de ces hommes ; et depuis Buonaparte, qui faisoit trembler le monde, et qui ne m’a jamais fait trembler, jusqu’aux oppresseurs obscurs qui ne sont connus que par mon mépris, j’ai osé tout dire à qui osoit tout entreprendre. Partout où je l’ai pu j’ai tendu la main à l’infortune ; mais je ne comprends rien à la prospérité : toujours prêt à me dévouer aux malheurs, je ne sais point servir les passions dans leur triomphe.

Auroit-on bien fait de suivre le chemin que j’avois tracé pour rendre à la religion sa salutaire influence ? Je le crois. En entrant dans l’esprit de nos institutions, en se pénétrant de la connoissance du siècle, en tempérant les vertus de la foi par celle de la charité, on seroit arrivé sûrement au but. Nous vivons dans un temps où il faut beaucoup d’indulgence et de miséricorde. Une jeunesse généreuse est prête à se jeter dans les bras de quiconque lui prêchera les nobles sentiments qui s’allient si bien aux sublimes préceptes de l’Évangile ; mais elle fuit la soumission servile, et, dans son ardeur de s’instruire, elle a un goût pour la raison tout à fait au-dessus de son âge.

Le Génie du Christianisme paroît maintenant dégagé des circonstances auxquelles on auroit pu attribuer une partie de son succès. Les autels sont relevés, les prêtres sont revenus de la captivité, les prélats sont revêtus des premières dignités de l’État. L’espèce de défaveur qui en général s’attache au pouvoir devroit pareillement s’attacher à tout ce qui a favorisé le rétablissement de ce pouvoir : on est ému du combat, on porte peu d’intérêt à la victoire.

Peut-être aussi l’auteur nuiroit-il à présent, dans un certain monde, à l’ouvrage. Je ne sais comment il arrive que les services que j’ai eu le