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de l’atome est une loi, elle est de nécessité, et comment une cause obligée produira-t-elle un effet libre ?

La terre, le ciel, les planètes, les étoiles, les plantes, les minéraux, les animaux, en y comprenant l’homme, naquirent du concours fortuit de ces atomes ; et lorsque la vertu productive du globe se fut évaporée, les races vivantes se perpétuèrent par la génération[1].

Les membres des animaux, formés au hasard, n’avoient aucune destination particulière ; l’oreille concave n’étoit point creusée pour entendre, l’œil convexe arrondi pour voir ; mais ces organes se trouvant propres à ces différents usages, les animaux s’en servirent machinalement et de préférence à un autre sens[2].

Après l’exposition de ces cosmogonies philosophiques, il seroit inutile de parler de celles des poëtes. Qui ne connoît Deucalion et Pyrrha, l’âge d’or et l’âge de fer ? Quant aux traditions répandues chez les autres peuples de la terre : dans l’Inde un éléphant soutient le globe ; le soleil a tout fait au Pérou ; au Canada le grand lièvre est le père du monde ; au Groënland l’homme est sorti d’un coquillage[3] ; enfin, la Scandinavie a vu naître Arkus et Emla ; Odin leur donna l’âme, Hœnerus la raison, et Lœdur le sang et la beauté :

Askum et Emlam, omni conatu destitutos,
Animam nec possidebant, rationem nec habebant,
Nec sanguinem, nec sermonem, nec faciem venustam :
Animam dedit Odinus, rationem dedit Hœnerus ;
Lœdur sanguinem addidit et faciem venustam[4].

Dans ces diverses cosmogonies, on est placé entre des contes d’enfants et des abstractions de philosophes : si l’on étoit obligé de choisir, mieux vaudroit encore se décider pour les premiers.

Pour découvrir l’original d’un tableau au milieu d’une foule de copies, il faut chercher celui qui, dans son unité ou la perfection de ses parties, décèle le génie du maître. C’est ce que nous trouvons dans la Genèse, original de ces peintures reproduites dans les traditions des peuples. Quoi de plus naturel, et cependant de plus magnifique, quoi de plus facile à concevoir et de plus d’accord avec la raison de l’homme, que le Créateur descendant dans la nuit antique pour faire la lumière avec une parole ? Le soleil à l’instant se suspend dans les cieux, au

  1. Lucret., lib. X-V ; Cic., de Nat. Deor., lib. I, cap. VIII-IX.
  2. Lucret., lib. IV-V.
  3. Vid. Hesiod. ; Ovid. ; Hist. Of Hindost. ; Herrera, Hist. de las Ind. ; Charlevoix, Hist. de la Nouv.-France ; P. Lafit., Mœurs des Indiens ; Travel in Greenland by Mission.
  4. Barthol., Ant. Dan.