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du monde. Chose étrange, sans doute, que toutes les interprétations de l’incrédulité ne puissent parvenir à donner quelque chose de petit ou de médiocre au christianisme !

Quant à la morale évangélique, tout le monde convient de sa beauté ; plus elle sera connue et pratiquée, plus les hommes seront éclairés sur leur bonheur et leurs véritables intérêts. La science politique est extrêmement bornée : le dernier degré de perfection où elle puisse atteindre est le système représentatif, né, comme nous l’avons montré, du christianisme ; mais une religion dont les préceptes sont un code de morale et de vertu est une institution qui peut suppléer à tout et devenir, entre les mains des saints et des sages, un moyen universel de félicité. Peut-être un jour les diverses formes de gouvernement, hors le despotisme, paraîtront-elles indifférentes, et l’on s’en tiendra aux simples lois morales et religieuses, qui sont le fond permanent des sociétés et le véritable gouvernement des hommes.

Ceux qui raisonnent sur l’antiquité et qui voudraient nous ramener à ses institutions oublient toujours que l’ordre social n’est plus ni ne peut être le même. Au défaut d’une grande puissance morale, une grande force coercitive est du moins nécessaire parmi les hommes. Dans les républiques de l’antiquité, la foule, comme on le sait, était esclave ; l’homme qui laboure la terre appartenait à un autre homme : il y avait des peuples, il n’y avait point de nations.

Le polythéisme, religion imparfaite de toutes les manières, pouvait donc convenir à cet état imparfait de la société, parce que chaque maître était une espèce de magistrat absolu, dont le despotisme terrible contenait l’esclavage dans le devoir et suppléait par des fers à ce qui manquait à la force morale religieuse : le paganisme, n’ayant pas assez d’excellence pour rendre le pauvre vertueux, était obligé de le laisser traiter comme un malfaiteur.

Mais dans l’ordre présent des choses, pourrez-vous réprimer une masse énorme de paysans libres et éloignés de l’œil du magistrat ; pourrez-vous, dans les faubourgs d’une grande capitale, prévenir les crimes d’une populace indépendante sans une religion qui prêche les devoirs et la vertu à toutes les conditions de la vie ? Détruisez le culte évangélique, et il vous faudra dans chaque village une police, des prisons et des bourreaux. Si jamais, par un retour inouï, les autels des dieux passionnés du paganisme se relevaient chez les peuples modernes, si dans un ordre de société où la servitude est abolie on allait adorer Mercure le voleur et Vénus la prostituée, c’en serait fait du genre humain.

Et c’est ici la grande erreur de ceux qui louent le polythéisme