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cet amour qui saisit tôt ou tard l’objet auquel il aspire, de cet amour qui dans la Divinité embrasse tout et jouit de tous les mondes, par une immense espérance toujours satisfaite et qui renaît toujours.

Il y a cependant une différence essentielle entre la foi et l’espérance considérée comme force. La foi a son foyer hors de nous, elle nous vient d’un objet étranger ; l’espérance, au contraire, naît au dedans de nous, pour se porter au dehors. On nous impose la première, notre propre désir fait naître la seconde ; celle-là est une obéissance, celle-ci un amour. Mais comme la foi engendre plus facilement les autres vertus, comme elle découle directement de Dieu, que par conséquent, étant une émanation de l’Éternel, elle est plus belle que l’espérance, qui n’est qu’une partie de l’homme, l’Église a dû placer la foi au premier rang.

Mais l’espérance offre en elle-même un caractère particulier : c’est celui qui la met en rapport avec nos misères. Sans doute elle fut révélée par le ciel, cette religion qui fit une vertu de l’espérance ! Cette nourrice des infortunés, placée auprès de l’homme comme une mère auprès de son enfant malade, le berce dans ses bras, le suspend à sa mamelle intarissable et l’abreuve d’un lait qui calme ses douleurs. Elle veille à son chevet solitaire, elle l’endort par des chants magiques. N’est-il pas surprenant de voir l’espérance, qu’il est si doux de garder et qui semble un mouvement naturel de l’âme, de la voir se transformer pour le chrétien en une vertu rigoureusement exigée ? En sorte que, quoi qu’il fasse, on l’oblige de boire à longs traits à cette coupe enchantée, où tant de misérables s’estimeroient heureux de mouiller un instant leurs lèvres. Il y a plus (et c’est ici la merveille), il sera récompensé d’avoir espéré, autrement, d’avoir fait son propre bonheur. Le fidèle, toujours militant dans la vie, toujours aux prises avec l’ennemi, est traité par la religion, dans sa défaite, comme ces généraux vaincus que le sénat romain recevoit en triomphe, par la seule raison qu’ils n’avoient pas désespéré du salut final. Mais si les anciens attribuoient quelque chose de merveilleux à l’homme que l’espoir n’abandonne jamais, qu’auroient-ils pensé du chrétien, qui, dans son étonnant langage, ne dit plus entretenir, mais pratiquer l’espérance ?

Quant à la charité, fille de Jésus-Christ, elle signifie, au sens propre, grâce et joie. La religion, voulant réformer le cœur humain et tourner au profit des vertus nos affections et nos tendresses, a inventé une nouvelle passion : elle ne s’est servie pour l’exprimer ni du mot d’amour, qui n’est pas assez sévère, ni du mot amitié, qui se perd au tombeau, ni du mot de pitié, trop voisin de l’orgueil ; mais elle a trouvé l’expression de charitas, charité, qui renferme les trois prem-