Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/523

Cette page n’a pas encore été corrigée

les esprits ; il prévenait les résolutions extrêmes. L’Église avait seule de l’instruction et de l’expérience, quand des barons hautains et d’ignorantes communes ne connaissaient que les factions et une obéissance absolue ; elle seule, par l’habitude des synodes et des conciles, savait parler et délibérer ; elle seule avait de la dignité, lorsque tout en manquait autour d’elle. Nous la voyons tour à tour s’opposer aux excès du peuple, présenter de libres remontrances aux rois et braver la colère des nobles. La supériorité de ses lumières, son génie conciliant, sa mission de paix, la nature même de ses intérêts, devaient lui donner en politique des idées généreuses qui manquaient aux deux autres ordres. Placée entre ceux-ci, elle avait tout à craindre des grands, et rien des communes, dont elle devenait par cette seule raison le défenseur naturel. Aussi la voit-on, dans les moments de troubles, voter de préférence avec les dernières. La chose la plus vénérable qu’offraient nos anciens états généraux était ce banc de vieux évêques qui, la mitre en tête et la crosse à la main, plaidaient tour à tour la cause du peuple contre les grands et celle du souverain contre des seigneurs factieux.

Ces prélats furent souvent la victime de leur dévouement. La haine des nobles contre le clergé fut si grande au commencement du XIIIe siècle, que saint Dominique se vit contraint de prêcher une espèce de croisade pour arracher les biens de l’Église aux barons qui les avaient envahis. Plusieurs évêques furent massacrés par les nobles ou emprisonnés par la cour. Ils subissaient tour à tour les vengeances monarchiques, aristocratiques et populaires.

Si vous voulez considérer plus en grand l’influence du christianisme sur l’existence politique des peuples de l’Europe, vous verrez qu’il prévenait les famines et sauvait nos ancêtres de leurs propres fureurs, en proclamant ces paix appelées paix de Dieu, pendant lesquelles on recueillait les moissons et les vendanges. Dans les commotions publiques souvent les papes se montrèrent comme de très grands princes. Ce sont eux qui, en réveillant les rois, sonnant l’alarme et faisant des ligues ont empêché l’Occident de devenir la proie des Turcs. Ce seul service rendu au monde par l’Église mériterait des autels.

Des hommes indignes du nom de chrétiens égorgeaient les peuples du Nouveau-Monde, et la cour de Rome fulminait des bulles pour prévenir ces atrocités[1]. L’esclavage était reconnu légitime, et l’Église ne reconnaissait point d’esclaves[2] parmi ses enfants. Les excès mêmes

  1. La fameuse bulle de Paul III. (N.d.A.)
  2. Le décret de Constantin, qui déclare libre tout esclave qui embrasse le christianisme. (N.d.A.)