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d’or et d’argent ; elles seules, dans les temps barbares, procuraient quelque travail aux artistes, qu’elles faisaient venir exprès de l’Italie et jusque du fond de la Grèce. Les religieux eux-mêmes cultivaient les beaux-arts et étaient les peintres, les sculpteurs et les architectes de l’âge gothique. Si leurs ouvrages nous paraissent grossiers aujourd’hui, n’oublions pas qu’ils forment l’anneau où les siècles antiques viennent se rattacher aux siècles modernes, que sans eux la chaîne de la tradition des lettres et des arts eût été totalement interrompue : il ne faut pas que la délicatesse de notre goût nous mène à l’ingratitude.

A l’exception de cette petite partie du Nord comprise dans la ligne des villes anséatiques, le commerce extérieur se faisait autrefois par la Méditerranée. Les Grecs et les Arabes nous apportaient les marchandises de l’Orient, qu’ils chargeaient à Alexandrie. Mais les croisades firent passer entre les mains des Francs cette source de richesses. " Les conquêtes des Croisés, dit l’abbé Fleury, leur assurèrent la liberté du commerce pour les marchandises de la Grèce, de Syrie et d’Égypte, et par conséquent pour celles des Indes, qui ne venaient point encore en Europe par d’autres routes[1]. "

Le docteur Robertson, dans son excellent ouvrage sur le commerce des anciens et des modernes aux Indes orientales, confirme, par les détails les plus curieux, ce qu’avance ici l’abbé Fleury. Gênes, Venise, Pise, Florence et Marseille durent leurs richesses et leur puissance à ces entreprises d’un zèle exagéré, que le véritable esprit du christianisme a condamnées depuis longtemps[2]. Mais enfin on ne peut se dissimuler que la marine et le commerce moderne ne soient nés de ces fameuses expéditions. Ce qu’il y eut de bon en elles appartient à la religion, le reste aux passions humaines. D’ailleurs, si les Croisés ont eu tort de vouloir arracher l’Égypte et la Syrie aux Sarrasins, ne gémissons donc plus quand nous voyons ces belles contrées en proie à ces Turcs, qui semblent arrêter la peste et la barbarie sur la patrie de Phidias et d’Euripide. Quel mal y aurait-il si l’Égypte était depuis saint Louis une colonie de la France, et si les descendants des chevaliers français régnaient à Constantinople, à Athènes, à Damas, à Tripoli, à Carthage, à Tyr, à Jérusalem ?

Au reste, quand le christianisme a marché seul aux expéditions lointaines, on a pu juger que les désordres des croisades n’étaient pas venus de lui, mais de l’emportement des hommes. Nos missionnaires nous ont ouvert des sources de commerce pour lesquelles ils n’ont

  1. Hist. ecclés., t. XVIII, sixième disc., p. 20. (N.d.A.)
  2. Vid. Fleury, loc. cit. (N.d.A.)