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ne parle ni de l’abandon des plaisirs de la vie, ni de la perte de la jeunesse et de la beauté, ni du renoncement à une famille, à un époux, à l’espoir d’une postérité ; il ne parle point de tous les sacrifices du cœur, des plus doux sentiments de l’âme étouffés, hors la pitié qui, au milieu de tant de douleurs, devient un tourment de plus.

Eh bien, nous avons vu les malades, les mourants près de passer, se soulever sur leur couche, et, faisant un dernier effort, accabler d’injures les femmes angéliques qui les servaient. Et pourquoi ? parce qu’elles étaient chrétiennes ! Eh, malheureux ! qui vous servirait, si ce n’était des chrétiennes ? D’autres filles, semblables à celles-ci, et qui méritaient des autels, ont été publiquement fouettées, nous ne déguiserons point le mot. Après un pareil retour pour tant de bienfaits, qui eût voulu encore retourner auprès des misérables ? Qui ? elles ! ces femmes ! elles-mêmes ! Elles ont volé au premier signal, ou plutôt elles n’ont jamais quitté leur poste. Voyez ici réunies la nature humaine religieuse et la nature humaine impie, et jugez-les.

La sœur grise ne renfermait pas toujours ses vertus, ainsi que les filles de l’hôtel-Dieu, dans l’intérieur d’un lieu pestiféré ; elle les répandait au dehors comme un parfum dans les campagnes ; elle allait chercher le cultivateur infirme dans sa chaumière. Qu’il était touchant de voir une femme jeune, belle et compatissante, exercer au nom de Dieu, près de l’homme rustique, la profession de médecin ! On nous montrait dernièrement, près d’un moulin, sous des saules, dans une prairie, une petite maison qu’avaient occupée trois sœurs grises. C’était de cet asile champêtre qu’elles partaient à toutes les heures de la nuit et du jour pour secourir les laboureurs. On remarquait en elles, comme dans toutes leurs sœurs, cet air de propreté et de contentement qui annonce que le corps et l’âme sont également exempts de souillures ; elles étaient pleines de douceur, mais toutefois sans manquer de fermeté pour soutenir la vue des maux et pour se faire obéir des malades. Elles excellaient à rétablir les membres brisés par des chutes ou par ces accidents si communs chez les paysans. Mais ce qui était d’un prix inestimable, c’est que la sœur grise ne manquait pas de dire un mot de Dieu à l’oreille du nourricier de la patrie, et que jamais la morale ne trouva de formes plus divines pour se glisser dans le cœur humain.

Tandis que ces filles hospitalières étonnaient par leur charité ceux même qui étaient accoutumés à ces actes sublimes, il se passait dans Paris d’autres merveilles : de grandes dames s’exilaient de la ville et de la cour et partaient pour le Canada. Elles allaient sans doute acquérir des habitations, réparer une fortune délabrée et jeter les fondements