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missionnaires, quoique simples et sans lettres, étaient des hommes pieux ; ils épousèrent de bonne heure la cause des Indiens, et défendirent ce peuple contre les calomnies dont s’efforcèrent de le noircir les conquérants, qui le représentaient comme incapable de se former jamais à la vie sociale et de comprendre les principes de la religion, et comme une espèce imparfaite d’hommes que la nature avait marquée du sceau de la servitude. Ce que j’ai dit du zèle constant des missionnaires espagnols pour la défense et la protection du troupeau commis à leurs soins les montre sous un point de vue digne de leurs fonctions ; ils furent des ministres de paix pour les Indiens, et s’efforcèrent toujours d’arracher la verge de fer des mains de leurs oppresseurs. C’est à leur puissante médiation que les Américains durent tous les règlements qui tendaient à adoucir la rigueur de leur sort. Les Indiens regardent encore les ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, dans les établissements espagnols, comme leurs défenseurs naturels, et c’est à eux qu’ils ont recours pour repousser les exactions et les violences auxquelles ils sont encore exposés[1]. "

Le passage est formel, et d’autant plus décisif, qu’avant d’en venir à cette conclusion le ministre protestant fournit les preuves qui ont déterminé son opinion. Il cite les plaidoyers des Dominicains pour les Caraïbes, car ce n’était pas Las Casas seul qui prenait leur défense ! c’était son ordre entier, et le reste des ecclésiastiques espagnols. Le docteur anglais joint à cela les bulles des papes, les ordonnances des rois, accordées à la sollicitation du clergé, pour adoucir le sort des Américains et mettre un frein à la cruauté des colons.

Au reste, le silence que la philosophie a gardé sur ce passage de Robertson est bien remarquable. On cite tout de cet auteur, hors le fait qui présente sous un jour nouveau la conquête de l’Amérique et qui détruit une des plus atroces calomnies dont l’histoire se soit rendue coupable. Les sophistes ont voulu rejeter sur la religion un crime que non seulement la religion n’a pas commis, mais dont elle a eu horreur : c’est ainsi que les tyrans ont souvent accusé leur victime [NOTE 37].

  1. Hist. de l’Amérique, t. IV, liv. VIII, p. 142-3, trad. franç., édit. in-8 o, 1780. (N.d.A.)