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feu, dans la salle bien jonchée ou tapissée de nattes, ayant autour de lui ses écuyers, s’entretenoit avec eux d’armes et d’amour, car tout dans sa maison, jusqu’aux derniers varlets, se mêlait d’aimer[1]. "

Ces fêtes de châteaux avaient toujours quelque chose d’énigmatique : c’était le festin de la licorne, le vœu du paon ou du faisan. On y voyait des convives non moins mystérieux, les chevaliers du Cygne, de l’Ecu-Blanc, de la Lance-d’Or, du Silence ; guerriers qui n’étaient connus que par les devises de leurs boucliers et par les pénitences auxquelles ils s’étaient soumis[2].

Des troubadours, ornés de plumes de paon, entraient dans la salle vers la fin de la fête, et chantaient des lays d’amour :

Armes, amours, déduit, joie et plaisance,

Espoir, désir, souvenir, hardement,

Jeunesse, aussi manière et contenance,

Humble regard, trait amoureusement,

Gents corps, jolis, parez très-richement,

Avisez bien ceste saison nouvelle ;

Le jour de may, cette grand’feste et belle,

Qui par le roy se fait à Sainct-Denys ;

A bien jouter gardez vostre querelle,

Et vous serez honorez et chéris.

Le principe du métier des armes chevaleresques était

" Grand bruit au champ, et grand’joie au logis. "

Bruits es chans, et joie à l’ostel.

Mais le chevalier arrivé au château n’y trouvait pas toujours des fêtes ; c’était quelquefois l’habitation d’une piteuse dame qui gémissait dans les fers d’un jaloux : Le biau sire, noble, coutois et preux, à qui l’on avait refusé l’entrée du manoir, passait la nuit au pied d’une tour d’où il entendait les soupirs de quelque Gabrielle qui appelait en vain le malheureux Couci. Le chevalier, aussi tendre que brave, jurait, par sa durandal et son aquilain, sa fidèle épée et son coursier rapide, de défier en combat singulier le félon qui tourmentait la beauté contre toute loi d’honneur et de chevalerie.

S’il était reçu dans ces sombres forteresses, c’était alors qu’il avait besoin de tout son grand cœur. Des varlets silencieux, aux regards farouches, l’introduisaient, par de longues galeries à peine éclairées, dans la chambre solitaire qu’on lui destinait. C’était quelque donjon qui gardait le souvenir d’une fameuse histoire ; on l’appelait la

  1. Sainte-Palaye. (N.d.A.)
  2. Hist. du maréchal de Boucicault. (N.d.A.)