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armes qui nous mettent pour jamais à l’abri des Alaric et des Attila. Ceci ne paraîtra point une vaine conjecture si l’on observe que les courses des Normands n’ont cessé que vers le Xe siècle, et que les chevaliers teutoniques, à leur arrivée dans le Nord, trouvèrent une population réparée et d’innombrables barbares, qui s’étaient déjà débordés autour d’eux. Les Turcs descendant de l’Orient, les Livoniens, les Prussiens, les Poméraniens, arrivant de l’Occident et du Septentrion, auraient renouvelé dans l’Europe à peine reposée les scènes des Huns et des Goths.

Les chevaliers teutoniques rendirent même un double service à l’humanité, car en domptant des sauvages ils les contraignirent de s’attacher à la culture et d’embrasser la vie sociale. Chrisbourg, Bartenstein, Wissembourg, Wesel, Brumberg, Thorn, la plupart des villes de la Prusse, de la Courlande et de la Sémigalie, furent fondées par cet ordre militaire religieux ; et tandis qu’il peut se vanter d’avoir assuré l’existence des peuples de la France et de l’Angleterre, il peut aussi se glorifier d’avoir civilisé le nord de la Germanie.

Un autre ennemi était encore peut-être plus dangereux que les Turcs et les Prussiens, parce qu’il se trouvait au centre même de l’Europe : les Maures ont été plusieurs fois sur le point d’asservir la chrétienté. Et quoique ce peuple paraisse avoir eu dans ses mœurs plus d’élégance que les autres barbares, il avait toutefois dans sa religion, qui admettait la polygamie et l’esclavage, dans son tempérament despotique et jaloux, il avait, disons-nous, un obstacle invincible aux lumières et au bonheur de l’humanité.

Les ordres militaires de l’Espagne en combattant ces infidèles ont donc, ainsi que l’Ordre Teutonique et celui de Saint-Jean de Jérusalem, prévenu de très grands malheurs. Les chevaliers chrétiens remplacèrent en Europe les troupes soldées, et furent une espèce de milice régulière, qui se transportait où le danger était le plus pressant. Les rois et les barons, obligés de licencier leurs vassaux au bout de quelques mois de service, avaient été souvent surpris par les barbares : ce que l’expérience et le génie des temps n’avaient pu faire, la religion l’exécuta ; elle associa des hommes qui jurèrent, au nom de Dieu, de verser leur sang pour la patrie : les chemins devinrent libres, les provinces furent purgées des brigands qui les infestaient, et les ennemis du dehors trouvèrent une digue à leurs ravages.

On a blâmé les chevaliers d’avoir été chercher les infidèles jusque dans leurs foyers. Mais on n’observe pas que ce n’était, après tout, que de justes représailles contre des peuples qui avaient attaqué les premiers les peuples chrétiens ; les Maures, que Charles-Martel extermina,