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autres : " En sorte, dit l’abbé Fleury, qu’il y avait cinquante-huit tribunaux qui jugeaient à mort[1]. "

Le trouble ne tarda pas à se mettre parmi tant d’hommes de mœurs et d’intérêts divers. On en vient aux mains dans la ville. Charles d’Anjou et Hugues III, roi de Chypre, prétendant tous deux au royaume de Jérusalem, augmentent encore la confusion. Le soudan Mélec-Messor profite de ces querelles intestines, et s’avance avec une puissante armée, dans le dessein d’arracher aux Croisés leur dernier refuge. Il est empoisonné par un de ses émirs en sortant d’Égypte ; mais avant d’expirer il fait jurer à son fils de ne point donner de sépulture aux cendres paternelles qu’il n’ait fait tomber Ptolémaïde.

Mélec-Séraph exécute la dernière volonté de son père : Acre est assiégée et emportée d’assaut le 18 de mai 1291. Des religieuses donnèrent alors un exemple effrayant de la chasteté chrétienne : elles se mutilèrent le visage, et furent trouvées dans cet état par les infidèles, qui en eurent horreur et les massacrèrent.

Après la réduction de Ptolémaïde les Hospitaliers se retirèrent dans l’île de Chypre, où ils demeurèrent dix-huit ans. Rhodes, révoltée contre Andronic, empereur d’Orient, appelle les Sarrasins dans ses murs. Villaret, grand-maître des Hospitaliers, obtient d’Andronic l’investiture de l’île, en cas qu’il puisse la soustraire au joug des Mahométans. Ses chevaliers se couvrent de peaux de brebis et, se traînant sur les mains au milieu d’un troupeau, ils se glissent dans la ville pendant un épais brouillard, se saisissent d’une des portes, égorgent la garde, et introduisent dans les murs le reste de l’armée chrétienne.

Quatre fois les Turcs essayent de reprendre l’île de Rhodes sur les chevaliers, et quatre fois ils sont repoussés. Au troisième effort, le siège de la ville dura cinq ans, et au quatrième, Mahomet battit les murs avec seize canons d’un calibre tel qu’on n’en avait point encore vu en Europe.

Ces mêmes chevaliers, à peine échappés à la puissance ottomane, en devinrent les protecteurs. Un prince Zizime, fils de ce Mahomet II qui naguère foudroyait les remparts de Rhodes, implore le secours des chevaliers contre Bajazet, son frère, qui l’avait dépouillé de son héritage. Bajazet, qui craignait une guerre civile, se hâte de faire la paix avec l’ordre, et consent à lui payer une certaine somme tous les ans, pour la pension de Zizime. On vit alors, par un de ces jeux si communs de la fortune, un puissant empereur des Turcs tributaire de quelques Hospitaliers chrétiens.

  1. Hist. ecclés. (N.d.A.)