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il retombe : un barbare l’aperçoit, accourt, et lui fend les entrailles de deux coups de hache : " Il expire, dit encore Charlevoix, dans l’exercice et pour ainsi dire dans le sein même de la charité[1]. " Enfin, le père Brébeuf, oncle du poète du même nom, fut brûlé avec ces tourments horribles que les Iroquois faisaient subir à leurs prisonniers.

" Ce père, que vingt années de travaux les plus capables de faire mourir tous les sentiments naturels, un caractère d’esprit d’une fermeté à l’épreuve de tout, une vertu nourrie dans la vue toujours prochaine d’une mort cruelle, et portée jusqu’à en faire l’objet de ses vœux les plus ardents, prévenu d’ailleurs par plus d’un avertissement céleste que ses vœux seraient exaucés, se riait également des menaces et des tortures ; mais la vue de ses chers néophytes cruellement traités à ses yeux répandait une grande amertume sur la joie qu’il ressentait de voir ses espérances accomplies.

" Les Iroquois connurent bien d’abord qu’ils avaient affaire à un homme à qui ils n’auraient pas le plaisir de voir échapper la moindre faiblesse ; et comme s’ils eussent appréhendé qu’il ne communiquât aux autres son intrépidité, ils le séparèrent, après quelque temps, de la troupe des prisonniers, le firent monter seul sur un échafaud et s’acharnèrent de telle sorte sur lui, qu’ils paraissaient hors d’eux-mêmes de rage et de désespoir.

" Tout cela n’empêchait point le serviteur de Dieu de parler d’une voix forte, tantôt aux Hurons qui ne le voyaient plus, mais qui pouvaient encore l’entendre, tantôt à ses bourreaux, qu’il exhortait à craindre la colère du ciel s’ils continuaient à persécuter les adorateurs du vrai Dieu. Cette liberté étonna les barbares ; ils voulurent lui imposer silence, et, n’en pouvant venir à bout, ils lui coupèrent la lèvre inférieure et l’extrémité du nez, lui appliquèrent par tout le corps des torches allumées, lui brûlèrent les gencives, etc[2]. "

On tourmentait auprès du père Brébeuf un autre missionnaire, nommé le père Lallemant, et qui ne faisait que d’entrer dans la carrière évangélique. La douleur lui arrachait quelquefois des cris involontaires ; il demandait de la force au vieil apôtre, qui, ne pouvant plus parler, lui faisait de douces inclinations de tête et souriait avec ses lèvres mutilées pour encourager le jeune martyr ; les fumées des bûchers montaient ensemble vers le ciel, et affligeaient et réjouissaient les anges. On fit un collier de haches ardentes au père Brébeuf ;

  1. Hist. de la Nouv.-France, t. I, liv. VII, p. 298. (N.d.A.)
  2. Charlevoix, t. I, liv. VII, p. 292. (N.d.A.)