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l’histoire de la Nouvelle-France en offre un exemple remarquable. La guerre était allumée entre les Français et les Iroquois : ceux-ci avaient l’avantage ; ils s’étaient avancés jusque sous les murs de Québec, massacrant et dévorant les habitants des campagnes. Le père Lamberville était en ce moment même missionnaire chez les Iroquois. Quoique sans cesse exposé à être brûlé vif par les vainqueurs, il n’avait pas voulu se retirer, dans l’espoir de les ramener à des mesures pacifiques et de sauver les restes de la colonie : les vieillards l’aimaient et l’avaient protégé contre les guerriers.

Sur ces entrefaites il reçoit une lettre du gouverneur du Canada, qui le supplie d’engager les sauvages à envoyer des ambassadeurs au fort Catarocouy pour traiter de la paix. Le missionnaire court chez les anciens, et fait tant par ses remontrances et ses prières, qu’il les décide à accepter la trêve et à députer leurs principaux chefs. Ces chefs, en arrivant au rendez-vous, sont arrêtés, mis aux fers, et envoyés en France aux galères.

Le père Lamberville avait ignoré le dessein secret du commandant, et il avait agi de si bonne foi qu’il était demeuré au milieu des sauvages. Quand il apprit ce qui était arrivé, il se crut perdu. Les anciens le firent appeler ; il les trouva assemblés au conseil, le visage sévère et l’air menaçant. Un d’entre eux lui raconta avec indignation la trahison du gouverneur, puis il ajouta :

" On ne saurait disconvenir que toutes sortes de raisons ne nous autorisent à te traiter en ennemi, mais nous ne pouvons nous y résoudre. Nous te connaissons trop pour n’être pas persuadés que ton cœur n’a point de part à la trahison que tu nous as faite, et nous ne sommes pas assez injustes pour te punir d’un crime dont nous te croyons innocent et que tu détestes sans doute autant que nous… Il n’est pourtant pas à propos que tu restes ici : tout le monde ne t’y rendrait peut-être pas la même justice ; et quand une fois notre jeunesse aura chanté la guerre, elle ne verra plus en toi qu’un perfide qui a livré nos chefs à un dur et rude esclavage, et elle n’écoutera plus que sa fureur à laquelle nous ne serions plus les maîtres de te soustraire[1]. "

Après ce discours, on contraignit le missionnaire de partir, et on lui donna des guides qui le conduisirent par des routes détournées au delà de la frontière. Louis XIV fit relâcher les Indiens aussitôt qu’il eut appris la manière dont on les avait arrêtés. Le chef qui avait harangué le père Lamberville se convertit peu de temps après, et se retira à

  1. Charlevoix, Hist. de la Nouv.-France, in 4 o, t. I, liv. XI, p. 511. (N.d.A.)