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églises errantes, dont les périls et la mobilité semblaient être faits pour notre courage et notre génie.

Le père Creuilli, jésuite, fonda les missions de Cayenne. Ce qu’il fit pour le soulagement des nègres et des sauvages paraît au-dessus de l’humanité. Les pères Lombard et Ramette, marchant sur les traces de ce saint homme, s’enfoncèrent dans les marais de la Guyane. Ils se rendirent aimables aux Indiens Galibis à force de se dévouer à leurs douleurs, et parvinrent à obtenir d’eux quelques enfants qu’ils élevèrent dans la religion chrétienne. De retour dans leurs forêts, ces jeunes enfants civilisés prêchèrent l’Evangile à leurs vieux parents sauvages, qui se laissèrent aisément toucher par l’éloquence de ces nouveaux missionnaires. Les catéchumènes se rassemblèrent dans un lieu appelé Kourou, où le père Lombard avait bâti une case avec deux nègres. La bourgade augmentant tous les jours, on résolut d’avoir une église. Mais comment payer l’architecte, charpentier de Cayenne, qui demandait quinze cents francs pour les frais de l’entreprise ? Les missionnaires et ses néophytes, riches en vertus, étaient d’ailleurs les plus pauvres des hommes. La foi et la charité sont ingénieuses : les Galibis s’engagèrent à creuser sept pirogues que le charpentier accepta sur le pied de deux cents livres chacune. Pour compléter le reste de la somme, les femmes filèrent autant de coton qu’il en fallait pour faire huit hamacs. Vingt autres sauvages se firent esclaves volontaires d’un colon pendant que ses deux nègres, qu’il consentait à prêter, furent occupés à scier les planches du toit de l’édifice. Ainsi tout fut arrangé, et Dieu eut un temple au désert.

Celui qui de toute éternité a préparé les voies des choses vient de découvrir sur ces bords un de ces desseins qui échappent dans leur principe à la sagacité des hommes, et dont on ne pénètre la profondeur qu’à l’instant même où ils s’accomplissent. Quand le père Lombard jetait, il y a plus d’un siècle, les fondements de sa mission chez les Galibis, il ne savait pas qu’il ne faisait que disposer des sauvages à recevoir des martyrs de la foi, et qu’il préparait les déserts d’une nouvelle Thébaïde à la religion persécutée. Quel sujet de réflexion ! Billaud de Varennes et Pichegru, le tyran et la victime, dans la même case à Synnamary, l’extrémité de la misère n’ayant pas même uni les cœurs ; des haines immortelles vivant parmi les compagnons des mêmes fers, et les cris de quelques infortunés prêts à se déchirer se mêlant aux rugissements des tigres dans les forêts du Nouveau Monde !

Voyez au milieu de ce trouble des passions le calme et la sérénité évangéliques des confesseurs de Jésus-Christ jetés chez les néophytes de la Guyane,