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avec des principes abstraits de philosophie, qu’on civilise les hommes et qu’on fonde les empires.

Chaque bourgade était gouvernée par deux missionnaires, qui dirigeaient les affaires spirituelles et temporelles des petites républiques. Aucun étranger ne pouvait y demeurer plus de trois jours ; et pour éviter toute intimité qui eût pu corrompre les mœurs des nouveaux chrétiens, il était défendu d’apprendre à parler la langue espagnole, mais les néophytes savaient la lire et l’écrire correctement.

Dans chaque réduction il y avait deux écoles : l’une pour les premiers éléments des lettres, l’autre pour la danse et la musique. Ce dernier art, qui servait aussi de fondement aux lois des anciennes républiques, était particulièrement cultivé par les Guaranis. Ils savaient faire eux-mêmes des orgues, des harpes, des flûtes, des guitares et nos instruments guerriers.

Dès qu’un enfant avait atteint l’âge de sept ans, les deux religieux étudiaient son caractère. S’il paraissait propre aux emplois mécaniques, on le fixait dans un des ateliers de la réduction, et dans celui-là même où son inclination le portait. Il devenait orfèvre, doreur, horloger, serrurier, charpentier, menuisier, tisserand, fondeur. Ces ateliers avaient eu pour premiers instituteurs les Jésuites eux-mêmes. Ces pères avaient appris exprès les arts utiles pour les enseigner à leurs Indiens sans être obligés de recourir à des étrangers.

Les jeunes gens qui préféraient l’agriculture étaient enrôlés dans la tribu des laboureurs, et ceux qui retenaient quelque humeur vagabonde de leur première vie erraient avec les troupeaux.

Les femmes travaillaient, séparées des hommes, dans l’intérieur de leurs ménages. Au commencement de chaque semaine, on leur distribuait une certaine quantité de laine et de coton, qu’elles devaient rendre le samedi au soir, toute prête à être mise en œuvre ; elles s’employaient aussi à des soins champêtres, qui occupaient leurs loisirs sans surpasser leurs forces.

Il n’y avait point de marchés publics dans les bourgades : à certains jours fixes, on donnait à chaque famille les choses nécessaires à la vie. Un des deux missionnaires veillait à ce que les parts fussent proportionnées au nombre d’individus qui se trouvaient dans chaque cabane.

Les travaux commençaient et cessaient au son de la cloche. Elle se faisait entendre au premier rayon de l’aurore. Aussitôt les enfants s’assemblaient à l’église, où leur concert matinal durait, comme celui des petits oiseaux, jusqu’au lever du soleil. Les hommes et les femmes assistaient ensuite à la messe, d’où ils se rendaient à leurs travaux.