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m’étaient certainement marqués par ceux de mes supérieurs, je rejetai cette pensée comme une illusion[1]. "

Les Indiens que l’on rencontrait dans ces retraites ne leur ressemblaient que par le côté affreux. Race indolente, stupide et féroce, elle montrait dans toute sa laideur l’homme primitif dégradé par sa chute. Rien ne prouve davantage la dégénération de la nature humaine que la petitesse du sauvage dans la grandeur du désert.

Arrivés à Buenos-Ayres, les missionnaires remontèrent Rio de la Plata, et, entrant dans les eaux du Paraguay, se dispersèrent dans les bois. Les anciennes relations nous les représentent un bréviaire sous le bras gauche, une grande croix à la main droite, et sans autre provision que leur confiance en Dieu. Elles nous les peignent se faisant jour à travers les forêts, marchant dans les terres marécageuses, où ils avaient de l’eau jusqu’à la ceinture, gravissant des roches escarpées et furetant dans les antres et les précipices, au risque d’y trouver des serpents et des bêtes féroces au lieu des hommes qu’ils y cherchaient.

Plusieurs d’entre eux y moururent de faim et de fatigue ; d’autres furent massacrés et dévorés par les sauvages. Le père Lizardi fut trouvé percé de flèches sur un rocher ; son corps était à demi dévoré par les oiseaux de proie, et son bréviaire était ouvert auprès de lui à l’office des morts. Quand un missionnaire rencontrait ainsi les restes d’un de ses compagnons, il s’empressait de leur rendre les honneurs funèbres, et, plein d’une grande joie, il chantait un Te Deum solitaire sur le tombeau du martyr.

De pareilles scènes, renouvelées à chaque instant, étonnaient les hordes barbares. Quelquefois elles s’arrêtaient autour du prêtre inconnu qui leur parlait de Dieu, et elles regardaient le ciel, que l’apôtre leur montrait ; quelquefois elles le fuyaient comme un enchanteur, et se sentaient saisies d’une frayeur étrange : le religieux les suivait en leur tendant les mains au nom de Jésus-Christ. S’il ne pouvait les arrêter, il plantait sa croix dans un lieu découvert, et s’allait cacher dans les bois. Les sauvages s’approchaient peu à peu pour examiner l’étendard de paix élevé dans la solitude : un aimant secret semblait les attirer à ce signe de leur salut. Alors le missionnaire, sortant tout à coup de son embuscade, et profitant de la surprise des barbares, les invitait à quitter une vie misérable, pour jouir des douceurs de la société.

Quand les Jésuites se furent attachés quelques Indiens, ils eurent

  1. Lettres édif., t. VIII, p. 381. (N.d.A.)