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rochers renferment de profondes grottes qui étaient autrefois autant de cellules d’un grand nombre de solitaires qui avaient choisi ces retraites pour être les seuls témoins sur terre de la rigueur de leur pénitence. Ce sont les larmes de ces saints pénitents qui ont donné au fleuve dont nous venons de parler le nom de fleuve saint. Sa source est dans les montagnes du Liban. La vue de ces grottes et de ce fleuve dans cet affreux désert inspire de la componction, de l’amour pour la pénitence et de la compassion pour ces âmes sensuelles et mondaines qui préfèrent quelques jours de joie et de plaisir à une éternité bienheureuse[1]. "

Cela nous semble parfait, et comme style et comme sentiment.

Ces missionnaires avaient un instinct merveilleux pour suivre l’infortune à la trace et la forcer, pour ainsi dire, jusque dans son dernier gîte. Les bagnes et les galères pestiférés n’avaient pu échapper à leur charité ; écoutons parler le père Tarillon dans sa lettre à M. de Pontchartrain :

" Les services que nous rendons à ces pauvres gens (les esclaves chrétiens au bagne de Constantinople) consistent à les entretenir dans la crainte de Dieu et dans la foi, à leur procurer des soulagements de la charité des fidèles, à les assister dans leurs maladies et enfin à leur aider à bien mourir. Si tout cela demande beaucoup de sujétion et de peine, je puis assurer que Dieu y attache en récompense de grandes consolations. (…)

" Dans les temps de peste, comme il faut être à portée de secourir ceux qui en sont frappés, et que nous n’avons ici que quatre ou cinq missionnaires, notre usage est qu’il n’y a qu’un seul père qui entre au bagne et qui y demeure tout le temps que la maladie dure. Celui qui en obtient la permission du supérieur s’y dispose pendant quelques jours de retraite, et prend congé de ses frères comme s’il devait bientôt mourir. Quelquefois il y consomme son sacrifice, et quelquefois il échappe au danger[2]. "

Le père Jacques Cachod écrit au père Tarillon :

" Maintenant je me suis mis au-dessus de toutes les craintes que donnent les maladies contagieuses ; et, s’il plaît à Dieu je ne mourrai pas de ce mal, après les hasards que je viens de courir. Je sors du bagne, où j’ai donné les derniers sacrements à quatre-vingt-six personnes… Durant le jour, je n’étais, ce me semble, étonné de rien ; il n’y avait que la nuit, pendant le peu de sommeil qu’on me laissait prendre, que je me sentais l’esprit tout rempli d’idées effrayantes.

  1. Lettres édifiantes, t. I, p. 285. (N.d.A.)
  2. Lettres édifiantes., t. I, p. 19 et 21. (N.d.A.)