Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/437

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’en allaient, à travers la nuit, chercher la cabane du laboureur. Si, au contraire, ils étaient reçus, après qu’on leur avait donné à laver, à la façon des temps de Jacob et d’Homère, ils venaient s’asseoir au foyer hospitalier. Comme aux siècles antiques, afin de se rendre les maîtres favorables (et parce que, comme Jésus-Christ, ils aimaient aussi les enfants), ils commençaient par caresser ceux de la maison : ils leur présentaient des reliques et des images. Les enfants, qui s’étaient d’abord enfuis tout effrayés, bientôt attirés par ces merveilles, se familiarisaient jusqu’à se jouer entre les genoux des bons religieux. Le père et la mère, avec un sourire d’attendrissement, regardaient ces scènes naïves et l’intéressant contraste de la gracieuse jeunesse de leurs enfants et de la vieillesse chenue de leurs hôtes.

Or la pluie et le coup de vent des morts battaient au dehors les bois dépouillés, les cheminées, les créneaux du château gothique ; la chouette criait sur ses faîtes. Auprès d’un large foyer, la famille se mettait à table : le repas était cordial et les manières affectueuses. La jeune demoiselle du lieu interrogeait timidement ses hôtes, qui louaient gravement sa beauté et sa modestie. Les bons pères entretenaient la famille par leurs agréables propos : ils racontaient quelque histoire bien touchante, car ils avaient toujours appris des choses remarquables dans leurs missions lointaines, chez les sauvages de l’Amérique ou chez les peuples de la Tartarie. A la longue barbe de ces pères, à leur robe de l’antique Orient, à la manière dont ils étaient venus demander l’hospitalité, on se rappelait ces temps où les Thalès et les Anacharsis voyageaient ainsi dans l’Asie et dans la Grèce.

Après le souper du château, la dame appelait ses serviteurs, et l’on invitait un des pères à faire en commun la prière accoutumée ; ensuite les deux religieux se retiraient à leur couche, en souhaitant toutes sortes de prospérités à leurs hôtes. Le lendemain on cherchait les vieux voyageurs, mais ils s’étaient évanouis, comme ces saintes apparitions qui visitent quelquefois l’homme de bien dans sa demeure.

Etait-il quelque chose qui pût briser l’âme, quelque commission dont les hommes ennemis des larmes n’osassent se charger, de peur de compromettre leurs plaisirs, c’était aux enfants du cloître qu’elle était aussitôt dévolue, et surtout aux Pères de l’ordre de Saint-François ; on supposait que des hommes qui s’étaient voués à la misère devaient être naturellement les hérauts du malheur. L’un était obligé d’aller porter à une famille la nouvelle de la perte de sa fortune ; l’autre de lui apprendre le trépas de son fils unique. Le grand Bourdaloue remplit lui-même ce triste devoir : il se présentait en silence à la porte du