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prêtre, sur les tentes d’un camp français, tandis que de vieux soldats, qui avaient tant de fois bravé la mort, tombaient à genoux devant un cercueil. un autel et un ministre de paix. Aux roulements des tambours drapés, aux salves interrompues du canon, des grenadiers portaient le corps de leur vaillant capitaine à la tombe qu’ils avaient creusée pour lui avec leurs baïonnettes. Au sortir de ces funérailles on n’allait point courir pour des trépieds, pour de doubles coupes, pour des peaux de lion aux ongles d’or, mais on s’empressait de chercher, au milieu des combats, des jeux funèbres et une arène plus glorieuse ; et si l’on n’immolait point une génisse noire aux mânes du héros, du moins on répandait en son honneur un sang moins stérile, celui des ennemis de la patrie.

Parlerons-nous de ces enterrements faits à la lueur des flambeaux dans nos villes, de ces chapelles ardentes, de ces chars tendus de noir, de ces chevaux parés de plumes et de draperies, de ce silence interrompu par les versets de l’hymne de la colère, Dies irae ?

La religion conduisait à ces convois des grands de pauvres orphelins sous la livrée pareille de l’infortune : par là elle faisait sentir à des enfants qui n’avaient point de père quelque chose de la piété filiale ; elle montrait en même temps à l’extrême misère ce que c’est que des biens qui viennent se perdre au cercueil, et elle enseignait au riche qu’il n’y a point de plus puissante médiation auprès de Dieu que celle de l’innocence et de l’adversité.

Un usage particulier avait lieu au décès des prêtres : on les enterrait le visage découvert : le peuple croyait lire sur les traits de son pasteur l’arrêt du souverain Juge et reconnaître les joies du prédestiné à travers l’ombre d’une sainte mort, comme dans les voiles d’une nuit pure on découvre les splendeurs du ciel.

La même coutume s’observait dans les couvents. Nous avons vu une jeune religieuse ainsi couchée dans sa bière. Son front se confondait par sa pâleur avec le bandeau de lin dont il était à demi couvert, une couronne de roses blanches était sur sa tête et un flambeau brûlait entre ses mains : les grâces et la paix du cœur ne sauvent point de la mort, et l’on voit se faner les lis malgré la candeur de leur sein et la tranquillité des vallées qu’ils habitent.

Au reste, la simplicité des funérailles était réservée au nourricier, comme au défenseur de la patrie. Quatre villageois précédés du curé, transportaient sur leurs épaules l’homme des champs au tombeau de ses pères. Si quelques laboureurs rencontraient le convoi dans les campagnes, ils suspendaient leurs travaux, découvraient leurs têtes et honoraient d’un signe de croix leur compagnon décédé. On voyait de