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faite. Nous aurions pu réclamer votre équité en vertu de la lettre de votre père, César Adrien, d’illustre et glorieuse mémoire ; mais nous avons préféré nous confier en la justice de notre cause[1]. »

L’Apologie de Justin était bien faite pour surprendre la terre. Il venoit de révéler un âge d’or au milieu de la corruption, de découvrir un peuple nouveau dans les souterrains d’un antique empire. Ces mœurs durent paroître d’autant plus belles, qu’elles n’étoient pas connues aux premiers jours du monde, en harmonie avec la nature et les lois, et qu’elles formaient au contraire un contraste frappant avec le reste de la société. Ce qui rend surtout la vie de ces fidèles plus intéressante que la vie de ces hommes parfois chantés par la fable, c’est que ceux-ci sont représentés heureux, et que les autres se montrent à nous à travers les charmes du malheur. Ce n’est pas sous les feuillages des bois et au bord des fontaines que la vertu paroît avec le plus de puissance : il faut la voir à l’ombre des murs des prisons et parmi les flots de sang et de larmes. Combien la religion est divine, lorsqu’au fond d’un souterrain, dans le silence et la nuit des tombeaux, un pasteur que le péril environne célèbre, à la lueur d’une lampe, devant un petit troupeau de fidèles, les mystères d’un Dieu persécuté !

Il étoit nécessaire d’établir solidement cette innocence des chrétiens primitifs, pour montrer que si, malgré tant de pureté, on trouva des inconvénients au mariage des prêtres, il serait tout à fait impossible de l’admettre aujourd’hui.

En effet, quand les chrétiens se multiplièrent, quand la corruption se répandit avec les hommes, comment le prêtre auroit-il pu vaquer en même temps aux soins de sa famille et de son église ? Comment fût-il demeuré chaste avec une épouse qui eût cessé de l’être ? Que si l’on objecte les pays protestants, nous dirons que dans ces pays on a été obligé d’abolir une grande partie du culte extérieur ; qu’un ministre paroît à peine dans un temple deux ou trois fois par semaine ; que presque toutes relations ont cessé entre le pasteur et le troupeau, et que le premier est trop souvent un homme du monde, qui donne des bals et des festins pour amuser ses enfants. Quant à quelques sectes moroses, qui affectent la simplicité évangélique, et qui veulent une religion sans culte, nous espérons qu’on ne nous les opposera pas. Enfin, dans les pays où le mariage des prêtres est établi, la confession, la plus belle des institutions morales, a cessé et a dû cesser à l’instant. Il est naturel qu’on n’ose plus rendre maître de ses secrets l’homme

  1. Just. Apol., édit. Marc., fol. 1942. Voir la note II, à la fin du volume.