Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/375

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et pourtant ce n’était pas là le caractère le plus remarquable du son des cloches, ce son avait une foule de relations secrètes avec nous. Combien de fois, dans le calme des nuits, les tintements d’une agonie, semblables aux lentes pulsations d’un cœur expirant, n’ont-ils point surpris l’oreille d’une épouse adultère ! Combien de fois ne sont-ils point parvenus jusqu’à l’athée, qui, dans sa veille impie, osait peut-être écrire qu’il n’y a point de Dieu ! La plume échappe de sa main ; il écoute avec effroi le glas de la mort, qui semble lui dire : Est-ce qu’il n’y a point de Dieu ? Oh ! que de pareils bruits n’effrayèrent-ils le sommeil de nos tyrans ! Etrange religion, qui au seul coup d’un airain magique peut changer en tourments les plaisirs, ébranler l’athée et faire tomber le poignard des mains de l’assassin !

Des sentiments plus doux s’attachaient aussi au bruit des cloches. Lorsque, avec le chant de l’alouette, vers le temps de la coupe des blés, on entendait au lever de l’aurore les petites sonneries de nos hameaux, on eût dit que l’ange des moissons, pour réveiller les laboureurs, soupirait, sur quelque instrument des Hébreux, l’histoire de Séphora ou de Noémi. Il nous semble que si nous étions poète, nous ne dédaignerions point cette cloche agitée par les fantômes dans la vieille chapelle de la forêt, ni celle qu’une religieuse frayeur balançait dans nos campagnes pour écarter le tonnerre, ni celle qu’on sonnait la nuit, dans certains ports de mer, pour diriger le pilote à travers les écueils. Les carillons des cloches, au milieu de nos fêtes, semblaient augmenter l’allégresse publique ; dans des calamités, au contraire, ces mêmes bruits devenaient terribles. Les cheveux dressent encore sur la tête au souvenir de ces jours de meurtre et de feu, retentissant des clameurs du tocsin. Qui de nous a perdu la mémoire de ces hurlements, de ces cris aigus, entrecoupés de silences, durant lesquels on distinguait de rares coups de fusil, quelque voix lamentable et solitaire, et surtout le bourdonnement de la cloche d’alarme ou le son de l’horloge qui frappait tranquillement l’heure écoulée ?

Mais dans une société bien ordonnée, le bruit du tocsin, rappelant une idée de secours, frappait l’âme de pitié et de terreur, et faisait couler ainsi les deux sources des sensations tragiques.

Tels sont à peu près les sentiments que faisaient naître les sonneries de nos temples ; sentiments d’autant plus beaux qu’il s’y mêlait un souvenir du ciel. Si les cloches eussent été attachées à tout autre monument qu’à des églises, elles auraient perdu leur sympathie morale avec nos cœurs. C’était Dieu même qui commandait à l’ange des victoires de lancer les volées qui publiaient nos triomphes, ou à l’ange de la mort de sonner le départ de l’âme qui venait de remonter à lui. Ainsi,