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une fois spectateur d’un naufrage. En arrivant sur la grève, les matelots dépouillèrent leurs vêtements et ne conservèrent que leurs pantalons et leurs chemises mouillées. Ils avaient fait un vœu à la Vierge pendant la tempête. Ils se rendirent en procession à une petite chapelle dédiée à saint Thomas. Le capitaine marchait à leur tête, et le peuple suivait en chantant avec eux l’Ave, maris Stella. Le prêtre célébra la messe des naufragés, et les matelots suspendirent leurs habits trempés d’eau de mer, en ex voto, aux murs de la chapelle. La philosophie peut remplir ses pages de paroles magnifiques, mais nous doutons que les infortunés viennent jamais suspendre leurs vêtements à son temple.

La mort, si poétique parce qu’elle touche aux choses immortelles, si mystérieuse à cause de son silence, devait avoir mille manières de s’annoncer pour le peuple. Tantôt un trépas se faisait prévoir par les tintements d’une cloche qui sonnait d’elle-même, tantôt l’homme qui devait mourir entendait frapper trois coups sur le plancher de sa chambre. Une religieuse de Saint-Benoît, près de quitter la terre, trouvait une couronne d’épine blanche sur le seuil de sa cellule. Une mère perdait-elle un fils dans un pays lointain, elle en était instruite à l’instant par ses songes. Ceux qui nient les pressentiments ne connaîtront jamais les routes secrètes par où deux cœurs qui s’aiment communiquent d’un bout du monde à l’autre. Souvent le mort chéri, sortant du tombeau, se présentait à son ami, lui recommandait de dire des prières pour le racheter des flammes et le conduire à la félicité des élus. Ainsi la religion avait fait partager à l’amitié le beau privilège que Dieu a de donner une éternité de bonheur.

Des opinions d’une espèce différente, mais toujours d’un caractère religieux, inspiraient l’humanité : elles sont si naïves qu’elles embarrassent l’écrivain. Toucher au nid d’une hirondelle, tuer un rouge-gorge, un roitelet, un grillon, hôte du foyer champêtre, un chien devenu caduc au service de la famille, c’était une sorte d’impiété qui ne manquait point, disait-on, d’attirer après soi quelque malheur. Par un admirable respect pour la vieillesse, on croyait que les personnes âgées étaient d’un heureux augure dans une maison, et qu’un ancien domestique portait bonheur à son maître. On retrouve ici quelques traces du culte touchant des lares, et l’on se rappelle la fille de Laban emportant ses dieux paternels.

Le peuple était persuadé que nul ne commet une méchante action sans se condamner à avoir le reste de sa vie d’effroyables apparitions à ses côtés. L’antiquité, plus sage que nous, se serait donné de garde de détruire ces utiles harmonies de la religion : de la conscience et de