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" Enfin, au milieu de ses tristes efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s’entrouvre d’elle-même, tout son esprit frémit, et par ce dernier effort son âme s’arrache avec regret de ce corps de boue, et se trouve seule au pied du tribunal de la pénitence[1]. "

A ce tableau de l’homme impie dans la mort joignez celui des choses du monde dans le néant :

" Regardez le monde tel que vous l’avez vu dans vos premières années et tel que vous le voyez aujourd’hui : une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue ; de nouveaux personnages sont montés sur la scène, les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs ; ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros, dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques. Rien ne demeure, tout change, tout s’use, tout s’éteint : Dieu seul demeure toujours le même. Le torrent des siècles qui entraîne tous les siècles coule devant ses yeux, et il voit avec indignation de faibles mortels emportés par ce cours rapide l’insulter en passant. "

L’exemple de la vanité des choses humaines, tiré du siècle de Louis XIV, qui venait de finir (et cité peut-être devant des vieillards qui en avaient vu la gloire), est bien pathétique ! le mot qui termine la période semble être échappé à Bossuet, tant il est franc et sublime.

Nous donnerons encore un exemple de ce genre ferme d’éloquence qu’on paraît refuser à Massillon, en ne parlant que de son abondance et de sa douceur. Pour cette fois nous prendrons un passage où l’orateur abandonne son style favori, c’est-à-dire le sentiment et les usages, pour n’être qu’un simple argumentateur. Dans le sermon sur la vérité d’un avenir, il presse ainsi l’incrédule :

" Que dirai-je encore ? Si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles ; l’honneur qu’on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu’il est ridicule d’honorer ce qui n’est plus ; la religion des tombeau une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis une vile poussière qu’il faut jeter au vent et qui n’appartient à personne ; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d’une machine qui se dissout ; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée ; les rois et les souverains, des fantômes que la faiblesse des

  1. Mass., Avent, Mort du Pécheur, Ire part. (N.d.A.)