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dont on n’a jamais entendu parler. Incapable de crainte et d’injustice, elle donne des leçons aux rois, mais sans les insulter ; elle console le pauvre, mais sans flatter ses vices. La politique et les choses de la terre ne lui sont point inconnues ; mais ces choses, qui faisaient les premiers motifs de l’éloquence antique, ne sont pour elle que des raisons secondaires ; elle les voit des hauteurs où elle domine, comme un aigle aperçoit du sommet de la montagne les objets abaissés de la plaine.

Ce qui distingue l’éloquence chrétienne de l’éloquence des Grecs et des Romains, c’est cette tristesse évangélique qui en est l’âme, selon La Bruyère, cette majestueuse mélancolie dont elle se nourrit. On lit une fois, deux fois peut-être les Verrines et les Catilinaires de Cicéron, l’Oraison pour la Couronne et les Philippiques de Démosthène ; mais on médite sans cesse, on feuillette nuit et jour les Oraisons funèbres de Bossuet et les Sermons de Bourdaloue et de Massillon. Les discours des orateurs chrétiens sont des livres, ceux des orateurs de l’antiquité ne sont que des discours. Avec quel goût merveilleux les saints docteurs ne réfléchissent-ils point sur les vanités du monde ! " Toute votre vie, disent-ils, n’est qu’une ivresse d’un jour, et vous employez cette journée à la poursuite des plus folles illusions. Vous atteindrez au comble de vos vœux, vous jouirez de tous vos désirs, vous deviendrez roi, empereur, maître de la terre : un moment encore, et la mort effacera ces néants avec votre néant. "

Ce genre de méditations, si grave, si solennel, si naturellement porté au sublime, fut totalement inconnu des orateurs de l’antiquité. Les païens se consumaient à la poursuite des ombres de la vie[1] ; ils ne savaient pas que la véritable existence ne commence qu’à la mort. La religion chrétienne a seule fondé cette grande école de la tombe où s’instruit l’apôtre de l’Evangile : elle ne permet plus que l’on prodigue, comme les demi-sages de la Grèce, l’immortelle pensée de l’homme à des choses d’un moment.

Au reste, c’est la religion qui dans tous les siècles et dans tous les pays a été la source de l’éloquence. Si Démosthène et Cicéron ont été de grands orateurs, c’est qu’avant tout ils étaient religieux[2]. Les membres de la Convention, au contraire, n’ont offert que des talents tronqués et des lambeaux d’éloquence, parce qu’ils attaquaient la foi de leurs pères et s’interdisaient ainsi les inspirations du cœur[3]

  1. Job. (N.d.A.)
  2. Ils ont sans cesse le nom des dieux à la bouche : voyez l’invocation du premier aux mânes des héros de Marathon, et l’apothéose du second aux dieux dépouillés par Verrès. (N.d.A.)
  3. Qu’on ne dise pas que les Français n’avaient pas eu le temps de s’exercer dans