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mais il nous a paru que c’est celui qui domine dans leurs écrits. Entre ces caractères primitifs de l’histoire se trouvent des nuances, qui furent saisies par les historiens d’un rang inférieur. Ainsi Polybe se place entre le politique Thucydide et le philosophe Xénophon ; Salluste tient à la fois de Tacite et de Tite-Live ; mais le premier le surpasse par la force de la pensée, et l’autre par la beauté de la narration. Suétone conta l’anecdote sans réflexion et sans voile, Plutarque y joignit la moralité ; Velleius Paterculus apprit à généraliser l’histoire sans la défigurer ; Florus en fit l’abrégé philosophique ; enfin, Diodore de Sicile, Trogue Pompée, Denys d’Halicarnasse, Cornelius-Nepos, Quinte Curce, Aurelius Victor, Ammien Marcellin, Justin, Eutrope et d’autres que nous taisons ou qui nous échappent, conduisirent l’histoire jusqu’aux temps où elle tomba entre les mains des auteurs chrétiens, époque où tout changea dans les mœurs des hommes.

Il n’en est pas des vérités comme des illusions : celles-ci sont inépuisables, et le cercle des premières est borné ; la poésie est toujours nouvelle, parce que l’erreur ne vieillit jamais, et c’est ce qui fait sa grâce aux yeux des hommes. Mais en morale et en histoire on tourne dans le champ étroit de la vérité ; il faut, quoi qu’on fasse, retomber dans des observations connues. Quelle route historique non encore parcourue restait-il donc à prendre aux modernes ? Ils ne pouvaient qu’imiter ; et dans ces imitations plusieurs causes les empêchaient d’atteindre à la hauteur de leurs modèles. Comme poésie, l’origine des Cattes, des Tenctères, des Mattiaques, n’offrait rien de ce brillant Olympe, de ces villes bâties au son de la lyre et de cette enfance enchantée des Hellènes et des Pélasges ; comme politique, le régime féodal interdisait les grandes leçons ; comme éloquence, il n’y avait que celle de la chaire ; comme philosophie, les peuples n’étaient pas encore assez malheureux ni assez corrompus pour qu’elle eût commencé de paraître.

Toutefois on imita avec plus ou moins de bonheur Bentivoglio, en Italie, calqua Tite-Live, et serait éloquent s’il n’était affecté. Davila, Guicciardini et Fra Paolo eurent plus de simplicité, et Mariana, en Espagne, déploya d’assez beaux talents ; malheureusement ce fougueux jésuite déshonora un genre de littérature dont le premier mérite est l’impartialité. Hume, Robertson et Gibbon ont plus ou moins suivi ou Salluste ou Tacite ; mais ce dernier historien a produit deux hommes aussi grands que lui-même, Machiavel et Montesquieu.

Néanmoins Tacite doit être choisi pour modèle avec précaution ; il y a moins d’inconvénients à s’attacher à Tite-Live. L’éloquence du premier lui est trop particulière pour être tentée par quiconque n’a pas