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su comme lui en apercevoir la grandeur. Bossuet et Fénelon, le premier dans son Histoire universelle, dans ses Avertissements et dans sa Politique tirée de l’Ecriture sainte, le second dans son Télémaque, ont dit sur les gouvernements toutes les choses essentielles. Montesquieu lui-même n’a souvent fait que développer les principes de l’évêque de Meaux, comme on l’a très bien remarqué. On pourrait faire des volumes des divers passages favorables à la liberté et à l’amour de la patrie qui se trouvent dans les auteurs du dix-septième siècle.

Et que n’a-t-on point tenté dans ce siècle[1] ? L’égalité des poids et mesures, l’abolition des coutumes provinciales, la réformation du Code civil et criminel, la répartition égale de l’impôt : tous ces projets dont nous nous vantons ont été proposés, examinés, exécutés même quand les avantages de la réforme en ont paru balancer les inconvénients. Bossuet n’a-t-il pas été jusqu’à vouloir réunir l’Église protestante à l’Église romaine ? Quand on songe que Bagnoli, Le Maître, Arnauld, Nicole, Pascal s’étaient consacrés à l’éducation de la jeunesse, on aura de la peine à croire sans doute que cette éducation est plus belle et plus savante de nos jours. Les meilleurs livres classiques que nous ayons sont encore ceux de Port-Royal, et nous ne faisons que les répéter, souvent en cachant nos larcins dans nos ouvrages élémentaires.

Notre supériorité se réduit donc à quelques progrès dans les études naturelles ; progrès qui appartiennent à la marche du temps, et qui ne compensent pas, à beaucoup près, la perte de l’imagination qui en est la suite. La Pensée est la même dans tous les siècles, mais elle est accompagnée plus particulièrement ou des arts ou des sciences ; elle n’a toute sa grandeur poétique et toute sa beauté morale qu’avec les premiers.

Mais si le siècle de Louis XIV a conçu les idées libérales[2], pourquoi donc n’en a-t-il pas fait le même usage que nous ? Certes, ne nous vantons pas de notre essai. Pascal, Bossuet, Fénelon, ont vu plus loin que nous, puisqu’en connaissant comme nous, et mieux que nous, la nature des choses, ils ont senti le danger des innovations. Quand leurs ouvrages ne prouveraient pas qu’ils ont eu des idées philosophiques, pourrait-on croire que ces grands hommes n’ont pas été frappés des abus qui se glissent partout et qu’ils ne connaissaient pas le faible et le fort des affaires humaines ? Mais tel était leur principe, qu’il ne faut pas faire un petit mal, même pour obtenir un grand bien[3], à

  1. Outre les projets de réforme et d’amélioration qui sont venus à la connaissance du public, on prétend que l’on a trouvé depuis la révolution, dans les anciens papiers du ministère, une foule de projets proposés dans le conseil de Louis XIV, entre autres celui de reculer les frontières de la France jusqu’au Rhin et de s’emparer de l’Égypte. Quant aux monuments et aux travaux pour l’embellissement de Paris, ils paraissent avoir tous été discutés. On voulait achever le Louvre, faire venir des eaux, découvrir les quais de la Cité, etc. Des raisons d’économie ou quelque autre motif arrêtèrent apparemment les entreprises. Ce siècle avait tant fait, qu’il fallait bien qu’il laissât quelque chose à faire à l’avenir. (N.d.A.)
  2. Barbarisme que la philosophie a emprunté des Anglais. Comment se fait-il que notre prodigieux amour de la patrie aille toujours chercher ses mots dans un dictionnaire étranger ? (N.d.A.)
  3. Hist. de Port-Royal. (N.d.A.)