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se défier qu’ils ne viennent à nous manquer lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice[1]. "

Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications danger encore plus pressant. Ne doit-on pas craindre que cette fureur de ramener nos connaissances à des signes physiques, de ne voir dans les races diverses de la création que des doigts, des dents, des becs, ne conduise insensiblement la jeunesse au matérialisme ? Si pourtant il est quelque science où les inconvénients de l’incrédulité se fassent sentir dans leur plénitude, c’est en histoire naturelle. On flétrit alors ce qu’on touche : les parfums, l’éclat des couleurs, l’élégance des formes, disparaissent dans les plantes pour le botaniste qui n’y attache ni moralité ni tendresse. Lorsqu’on n’a point de religion ; le cœur est insensible et il n’y plus de beauté, car la beauté n’est point un être existant hors de nous : c’est dans le cœur de l’homme que sont les grâces de la nature.

Quant à celui qui étudie les animaux, qu’est-ce autre chose, s’il est incrédule, que d’étudier des cadavres ? A quoi ses recherches le mènent-elles ? quel peut être son but ? Ah ! c’est pour lui qu’on a formé ces cabinets, écoles où la Mort, la faux à la main, est le démonstrateur ; cimetières au milieu desquels on a placé des horloges pour compter des minutes à des squelettes, pour marquer des heures à l’éternité !

C’est dans ces tombeaux où le néant a rassemblé ses merveilles, où la dépouille du singe insulte à la dépouille de l’homme, c’est là qu’il faut chercher la raison de ce phénomène, un naturaliste athée : à force de se promener dans l’atmosphère des sépulcres, son âme a gagné la mort.

Lorsque la science était pauvre et solitaire ; lorsqu’elle errait dans la vallée et dans la forêt, qu’elle épiait l’oiseau portant à manger à ses petits ou le quadrupède retournant à sa tanière ; que son laboratoire était la nature, son amphithéâtre les cieux et les champs ; qu’elle était simple et merveilleuse comme les déserts où elle passait sa vie, alors elle était religieuse. Assise à l’ombre d’un chêne, couronnée de fleurs qu’elle avait cueillies sur la montagne, elle se contentait de peindre les scènes qui l’environnaient. Ses livres n’étaient que des catalogues de remèdes pour les infirmités du corps, ou des recueils de cantiques dont les paroles apaisaient les douleurs de l’âme. Mais quand des congrégations de savants se formèrent, quand les philosophes, cherchant la réputation et non la nature, voulurent parler des œuvres de Dieu sans les avoir aimées, l’incrédulité naquit avec l’amour-

  1. Buff., Hist. nat., t. I, prem. disc., p. 79.(N.d.A.)