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sans porter la vue au delà. Il y voyait même quelque chose de plus qu’inutile ; il croyait qu’il était dangereux de s’appliquer trop sérieusement à ces démonstrations superficielles que l’industrie et l’expérience fournissent moins souvent que le hasard[1]. Sa maxime était que cette application nous désaccoutume insensiblement de l’usage de notre raison et nous expose à perdre la route que la lumière nous trace[2]. "

Cette opinion de l’auteur de l’application de l’algèbre à la géométrie est une chose digne d’attention.

Le père Castel, à son tour, semble se plaire à rabaisser le sujet sur lequel il a lui-même écrit. " En général, dit-il, on estime trop les mathématiques… La géométrie a des vérités hautes, des objets peu développés, des points de vue qui ne sont que comme échappés. Pourquoi dissimuler ? Elle a des paradoxes, des apparences de contradiction, des conclusions de système et de concession, des opinions de sectes, des conjectures même et même des paralogismes[3]. "

Si nous en croyons Buffon, " ce qu’on appelle vérités mathématiques se réduit à des identités d’idées et n’a aucune réalité[4]. " Enfin l’abbé de Condillac, affectant pour les géomètres le même mépris qu’Hobbes, dit en parlant d’eux : " Quand ils sortent de leurs calculs pour entrer dans des recherches d’une nature différente, on ne leur trouve plus la même clarté, la même précision ni la même étendue d’esprit. Nous avons quatre métaphysiciens célèbres, Descartes, Malebranche, Leibnitz et Locke ; le dernier est le seul qui ne fût pas géomètre, et de combien n’est-il pas supérieur aux trois autres[5] ! "

Ce jugement n’est pas exact. En métaphysique pure, Malebranche et Leibnitz ont été beaucoup plus loin que le philosophe anglais. Il est vrai que les esprits géométriques sont souvent faux dans le train ordinaire de la vie, mais cela vient même de leur extrême justesse. Ils veulent trouver partout des vérités absolues, tandis qu’en morale et en politique les vérités sont relatives. Il est rigoureusement vrai que deux et deux font quatre, mais il n’est pas de la même évidence qu’une bonne loi à Athènes soit une bonne loi à Paris. Il est de fait que la liberté est une chose excellente : d’après cela, faut-il verser des torrents de sang pour l’établir chez un peuple en tel degré que ce peuple ne la comporte pas ?

  1. Lettres de 1638, p. 412, Cartesii L. de Direct. ingen. regula, n o 5.(N.d.A.)
  2. Oeuvres de Desc., t. I, p. 112.(N.d.A.)
  3. Math. univ., p. 3, 5.(N.d.A.)
  4. Hist. nat., t. I, Prem. disc., p. 77.(N.d.A.)
  5. Essai sur l’origine des connaissances humaines, t. II, sect. II, chap. IV, p. 239, édit. Amst. 1783.(N.d.A.)